Publié le Samedi 17 décembre 2011 à 13h18.

Égypte : Tahrir et les élections

Les élections des 28 et 29 novembre ont eu lieu avant que sèche le sang des victimes du massacre commis par les services de l’ordre contre le soulèvement de masse. Ajoutons à cela le caractère largement communautaire du vote, du côté islamiste comme du côté copte, et le tableau est complet ! Au soulèvement ayant débuté le 19 novembre, et qui a été parfois décrit comme « une seconde révolution », succède une situation ayant des allures de contre-révolution. Vers un automne islamo-militaire ?

 À l’appui de cette idée est mis en avant que la participation massive au vote renforcerait la légitimité ébranlée du Conseil suprême des forces armées (CSFA). Il est ajouté que le raz de marée islamiste (40 % pour les Frères musulmans et 25 % pour les salafistes) donne la victoire au courant politique qui a presque systématiquement soutenu le CSFA contre la révolution depuis la chute de Moubarak. 

Il faut cependant se méfier des apparences, car ceux qui se sont rendus aux urnes avaient des motivations diverses. 

Les uns exprimaient un souhait de « stabilité » face au « désordre » attribué par les médias officiels à la révolution. D’autres, islamistes convaincus, étaient attirés par la perspective de se retrouver au pouvoir. D’autres encore cherchaient tout simplement à éviter une amende annoncée de 500 livres contre ceux qui n’exerceraient pas leur « droit » démocratique. 

Il est néanmoins clair que la plupart des votants souhaitaient, pour la première fois, exercer un choix réel dans des élections libres, espérant par ce biais une véritable transition vers un pouvoir civil et une émancipation sociale et politique. Ils ont, dans ce but, élu ceux qui, à leurs yeux, avaient été des opposants résolus à la dictature depuis des décennies.La discordance des temps d’une révolution inachevéeLe 19 novembre sur la place Tahrir, la dictature militaire a tenté de liquider un sit-in de quelques centaines de personnes, majoritairement des blessés de la révolution et des proches des martyrs. Une mobilisation de grande ampleur s’est alors développée, et s’est étendue à des villes qui n’y avaient pas jusqu’à présent participé. Des millions de personnes ont maintenant compris que le CSFA est la colonne vertébrale de la continuité du régime Moubarak. 

Mais cette énorme « avant-garde révolutionnaire » est aujourd’hui relativement isolée au sein de la population. Car la stratégie de pourrissement systématiquement suivi par le CSFA, avec le soutien de ses alliés islamistes, saoudiens et américains, a créé une opinion qui, en l’absence d’une alternative révolutionnaire, est momentanément paralysée par la peur du « chaos » et est à la recherche d’un minimum de stabilité. Mais ce genre d’illusion finira par se dissiper une fois les élections passées.

La discordance du temps social et du temps politiqueMoins de deux mois avant le récent soulèvement, une vague massive de grèves secouait l’Égypte. Par le nombre des grévistes, le niveau d’organisation, la nature des revendications et l’ampleur du défi direct au pouvoir, cette vague fut un saut qualitatif dans le mouvement de la classe ouvrière. À l’époque, malheureusement, Tahrir fut largement calme. De plus, les meilleurs militants pour la démocratie tenaient, et tiennent toujours, un discours péjoratif, élitiste et aveugle envers les « grèves corporatistes ». Au moment du soulèvement de novembre, le mouvement de grève s’était, momentanément, éteint. Une convergence entre temps social et temps politique sera nécessaire à la poursuite du processus révolutionnaire entamé début 2011.

Omar El Shafei