Le 6 novembre aura lieu l’élection du président des USA. La campagne électorale comme l’issue de ces élections suscitent bien des interrogations au sein du monde du travail et de la population américaine mais aussi, bien au delà, dans le monde entier. Les espoirs suscités par la campagne puis l’élection d’Obama en 2008 ont cédé la place aux inquiétudes, celles de voir Mitt Romney élu, le candidat républicain très réactionnaire, mormon et milliardaire qui doit sa fortune aux spéculations, et aux paradis fiscaux des îles Caïman…
Obama dont certains pensaient qu’il allait changer la politique de la première puissance mondiale porte un lourd bilan. Sa politique est restée dans la continuité de la défense des intérêts des classes dominantes américaines, des multinationales financières et industrielles. Lors du dernier débat qui l’opposait à Romney, il a appelé les Américains à lui faire confiance : « Il n’y a pas d’élément plus déterminant dans une campagne présidentielle que la confiance. Vous me connaissez, vous savez que je dis ce que je pense et que je pense ce que je dis ». Il oublie ce qu’il a fait ! La confiance n’est plus là, la déception est à la hauteur des illusions et laisse le champ libre à la démagogie des forces réactionnaires au point qu’aujourd’hui Romney est donné au coude à coude avec Obama.
L’éventuelle élection de Romney suscite une inquiétude légitime. Mais la réponse n’est pas le vote pour Obama qui compose avec les républicains et a mis en œuvre une politique d’austérité pour soutenir les banques. C’est bien cette politique qui fait le lit des forces réactionnaires.
Les illusions cèdent la place à la réalité : lui comme Romney représente les 1 % contre les 99 %. L’espoir pour changer le monde a été porté par les grévistes du Wisconsin contre les coupes budgétaires, Occupy Wall street ou la grève des enseignants de Chicago, l’intervention indépendante des travailleurs pour défendre leurs propres intérêts sur le terrain social et politique, ceux des 99 % contre les 1 %. Yes we can…
Obama, du mythe à…la menace républicaine
Obama, « l’homme qui voulait changer le monde », nous dit-on comme pour perpétuer ce mythe mondialisé. Comment un président produitpar la machine politique américaine, ce système tout entier conçu pour protéger l’ordre établi, aurait-il pu ne serait-ce qu’engager une réforme progressiste un tant soi peu radicale ?
Le parcours du combattant-président sélectionne un homme entièrement intégré à la machine, aux classes dirigeantes, dépendant de l’un des deux grands partis comme des généreux donateurs qui ont financé sa campagne. Sans parler des verrous institutionnels que sont le Congrès (représentants et sénateurs) et la Cour suprême devant laquelle les opposants peuvent déférer ce qu’ils jugent « contraire à la Constitution ».
Obama ne pouvait pas changer le monde ni même s’attaquer un tant soit peu aux intérêts des classes dirigeantes américaines, l’eût-il voulu.
Le fait que pour la première fois un noir accédait à la présidence des USA était, en soi, une révolution, une réfraction tardive, dans la plus haute institution, des bouleversements opérés par les luttes des noirs américains. Mais Obama lui-même ne pouvait que décevoir toutes celles et ceux qui avaient cru voir en lui le représentant des classes exploitées, des noirs, des jeunes, des femmes, des minorités. Aujourd’hui son principal adversaire est son propre bilan, la déception qu’il a suscité parmi toutes celles et ceux qui avait cru en « l’espoir du changement ». Leur abstention a été un des facteurs de la victoire des républicains aux élections parlementaires de la fin 2010. C’est cette déception qui aujourd’hui rend crédible une inattendue et possible victoire de Romney.
Sauver Goldman Sachs et GM
Dès février 2009, il a fait adopter un plan de relance de 787 milliards de dollars pour sauver les banques, les géants de l’automobile, et renflouer les patrons. Ce plan a atténué la récession mais s’est révélé inefficace contre le chômage. Aujourd’hui, l’économie américaine compte encore près de cinq millions d’emplois de moins qu’avant le début de la crise. Obama a sauvé les entreprises et sacrifié les travailleurs.
Par contre, il n’a rien entrepris pour supprimer les allégements des impôts des plus hauts revenus hérités de l’ère Bush. À partir de 2010, il bascula vers une politique d’austérité, de coupes budgétaires négociées avec les Républicains. Il n’a rien entrepris non plus en faveur des cinq millions d’Américains qui ont perdu leur logement depuis le début de la crise immobilière en 2007.
Quant à la réforme de la santé qui devait permettre aux 58 millions d’Américains qui n’étaient pas couverts d’accéder à une assurance-santé, elle est loin d’instaurer une sécurité sociale pour tous. Elle garantira désormais une couverture santé à environ 30 millions d’Américains supplémentaires, tout en laissant 27 millions au bord de la route. Elle octroie surtout une rente au secteur des assurances privées qui va bénéficier des cotisations de millions de nouveaux assurés payées grâce aux aides publiques et donc par les contribuables.
Des inégalités croissantes
Les inégalités sociales ont continué de s’accroître au détriment des couches populaires et notamment des Noirs. Ceux-ci sont presque deux fois plus affectés par le chômage que la moyenne (en septembre 2012, 13,4 % des noirs sont au chômage contre 7,8 % pour l’ensemble de la population).
La part de la richesse américaine détenue par la moitié la plus pauvre de la population a été pratiquement divisée par trois de 2001 à 2010, chutant de 2,8 % à 1,1 % en 2010 selon un rapport du Centre de recherche du Congrès des États-Unis. Les Américains les plus fortunés se sont enrichis : 1 % de la population possède désormais près de 35 % de la richesse nationale (+ 2 points) et les 10 % les plus riches en détiennent 75 % (+ 5 points). 15 % de la population vivent en 2010 sous le seuil de pauvreté.
Offensive réactionnaire
Les déceptions et démoralisations laissent la place à une offensive réactionnaire et ultralibérale des républicains. À les entendre, les racines de la crise, c’est la paresse des « assistés », ces « 47 % d’Américains qui vivant des aides de l’État ne peuvent que voter Obama » (Mitt Romney) ! Ils envisagent d’abroger « Obamacare », privatiser Medicare (l’assurance maladie publique des personnes âgées), régionaliser Medicaid (celle des plus pauvres), faire de nouvelles coupes claires dans les dépenses sociales. Le tout assaisonné de démagogie raciste et xénophobe, de propagande contre la Chine…
Mais les illusions qu’a fait naître Obama demeurent des espoirs pour des millions d’hommes et de femmes confrontés à la cruelle leçon des reniements. La déception pourrait bien céder la place à une nouvelle combativité dont les derniers mouvements sont l’expression…
Du prix Nobel de la paix à la politique des drones…
Comme aujourd’hui le prix Nobel accordé à l’Union européenne vient au secours de ses dirigeants discrédités, celui qu’Obama reçut peu de temps après son investiture venait au secours du redéploiement diplomatique et militaire que ce dernier avait engagé pour tourner la page de la décennie de « la guerre sans fin » de Bush. En fait, ce redéploiement s’inscrivait dans la continuité de la politique de Bush, une offensive diplomatique et militaire pour assurer à la première puissance mondiale de nouvelles positions stratégiques et engager à ses côtés ses alliés traditionnels et plus largement tous les États qui pouvaient trouver un intérêt au maintien de l’ordre mondial.
L’Otan fut et demeure le cadre de cette offensive diplomatique et militaire en ayant élargi son champ d’action à la planète toute entière en passant par l’Afghanistan. Les discours pour tenter de tourner la page de l’arrogance de Bush n’ont pas résisté à la continuité des actes.
La continuité des années Bush
Le point d’orgue symbolique de cette continuité fut l’exécution sommaire de Ben Laden en 2011 au Pakistan. Obama, exécuteur testamentaire de Bush, pouvait déclarer : « Le job est fait » ! Ou encore le maintien en activité de la sinistre prison de Guantanamo.
Mais bien plus significative encore avait été la décision d’Obama d’augmenter de 30 000 hommes les effectifs américains engagés dans la guerre et l’occupation de l’Afghanistan. Dans le même temps, il doublait l’aide financière qui ne servait, et continue encore, qu’à alimenter la corruption généralisée par laquelle le régime Karzaï a été mis en place et se maintient au pouvoir. Le retrait des troupes d’Irak a laissé un pays en ruine et déchiré par les rivalités religieuses et les luttes de pouvoir.
En Afghanistan, alors que la guerre rentre dans sa douzième année, le retrait annoncé pour 2014 est loin d’être assuré quelque soit le futur président. Lors de leur dernier débat portant sur la politique internationale, le démocrate et le républicain ont eu bien du mal à se différencier sur la question. Obama s’y est félicité des efforts budgétaires réalisés pour moderniser l’armée américaine rencontrant le soutien de son rival sur l’usage extensif de drones en particulier au Pakistan. Le budget militaire de 2013 sera de 525 milliards de dollars soit près de deux fois plus qu’en 2001.
Romney n’avait pas non plus besoin de prendre, quant au fond, ses distances par rapport à la politique d’Obama au Moyen Orient. Elle est restée alignée sur Israël. Certes l’Administration américaine a freiné Israël dans ses ardeurs guerrières contre l’Iran mais, là encore, Romney n’avait rien à dire si ce n’est sur la forme, laissant Obama lui répondre : « Franchement, gouverneur, on a parfois l’impression que vous pensez que vous feriez les mêmes choses que nous mais que, comme vous les diriez plus fort, cela ferait une différence ». L’argument vaut dans les deux sens !
Perpétuer la domination américaine
Obama qui, à l’occasion de son discours du Caire en 2009, prétendait regagner la sympathie du monde arabe s’est trouvé déstabilisé par le processus révolutionnaire en cours. Après s’être appuyé sur l’armée égyptienne comme garant d’un minimum de stabilité, avoir participé à l’intervention en Libye, les USA craignent l’effondrement de la dictature syrienne. L’hostilité à leur égard reste extrêmement forte comme en ont témoigné les récentes manifestations, certes minoritaires et animés par des intégristes religieux, mais expression d’un sentiment populaire. On ne voit pas comment il aurait pu en être autrement, Obama poursuivant le même objectif que Bush hier ou que Romney aujourd’hui, la perpétuation de la domination américaine.
C’est la même chose dans les rapports avec la Russie ou la Chine, alliant vis-à-vis de cette dernière une politique de coopération économique avec une politique militaire offensive visant à implanter des bases militaires dans la région et à s’assurer le contrôle de la mer de Chine. De la même façon, le maintien de multiples bases en Amérique latine, leur renforcement au nom de la lutte contre les narcotrafiquants, la réactivation de la ive flotte au large du Venezuela participent de ce redéploiement militaire des USA.
Aujourd’hui, les classes dirigeantes américaines et le Pentagone n’ont aucune raison de durcir le ton, la politique engagée par Obama leur convient, il a fait le job. L’accentuation de la crise mondiale pourrait, par contre, aboutir à des tensions internationales bien plus fortes y compris si Obama est réélu.
Yvan Lemaitre
Entretien : « La campagne des Verts représente une dynamique anticapitaliste »
Keith Mann, militant de Solidarity (organisation américaine membre de la Quatrième Internationale).
Comment est vue la campagne électorale dans le monde du travail ?Indifférence, soutien à Obama ?
Il y a un peu de tout, sauf qu’il y a très peu de passion ou de vrai enthousiasme pour Obama. Il y a plutôt un sentiment de peur par rapport à Romney qui dénonce publiquement les syndicats, plus récemment le syndicat des enseignants de Chicago (CTU) lors de leur grève en septembre. La gauche, qui était très enthousiaste quand Obama a brigué son premier mandat, a été très vite déçue par sa politique. Mais la politique de moindre mal règne toujours parmi la gauche et les milieux noirs et populaires. Selon les sondages, 94 % des noirs et 70 % des latinos voteront Obama.
Quelle est l’attitude desorganisations syndicales ?
Les directions syndicales sont plus que jamais impliquées dans la campagne démocrate, un phénomène qui existe depuis les années 1930. Ils y consacrent des ressources financières et militantes importantes. Ça se voit au niveau national comme local. Dans les villes, les centrales syndicales organisent des diffusions de tracts d’Obama quotidiennement. Mêmesi la base syndicale est moins enthousiaste, la politique pro-Obama n’est contestée nulle part au sein du mouvement syndical.
Quel est l’impact de la campagne des verts ? Y-a-t-il eu des tentatives de présenter unE candidatEs anticapitaliste ?
Je pense, comme mes camarades de Solidarity, que la campagne des Verts représente une dynamique anticapitaliste même si elle ne dénonce pas le capitalisme ni ne défend le socialisme explicitement. C’est pourquoi nous la soutenons. Le tract principal de leur campagne fait le lien entre l’argent gaspillé pour Wall Street, les cadeaux fiscaux aux riches et la guerre, la dette étudiante, la politique de sauvetages des banques, etc.
Ce sont des revendications qui portent une dynamique transitoire.
Leurs candidates Jill Stein et sa colistière Cheri Honkala seront présentes dans 38 des50 États. 85 % de l’électorat aura la possibilité de voter pour elles. Certains sondages leur attribuent plus de 3 % du scrutin. Elles ontle soutien du grand intellectuel de gauche Noam Chomsky, mais peu d’autres personnalités connues.
Les Verts comme les autres candidats des « troisièmes partis », comme on dit ici, sont exclus des grands débats télévisés. Quand Stein et Honkala sont arrivées au débat de New York, le 17 octobre, pour demander à y participer, elles ont été arrêtées par le service d’ordre du Président, emmenées dans un dépôt secret, ligotées à leurs chaises et relâchées seulement huit heures plus tard après quele débat fut terminé.
Il y a plusieurs petites campagnes de la gauche anticapitaliste, de groupes d’extrême gauche. Quelques-unes seront présentes dans trois États, d’autres jusque dans dix.
Depuis la grève des fonctionnaires dans le Wisconsin et Occupy Wall Street, où en est le mouvement de contestation ?
Le mouvement contre le projet de loi abolissant la négociation collective pourle secteur publique dans le Wisconsin étaitle plus grand mouvement de base syndicale depuis les années 1930. Quand la loi est passée malgré six semaines de manifestations (seuls des enseignants avait fait quelques jours de grèves sauvages), le mouvement s’est orienté vers une campagne de révocationdu gouverneur républicain Scott Walker.
La campagne a réussi à obtenir la révocation de Walker mais celui-ci a réussi à gagnerla nouvelle élection en partie grâce au faitque ses soutiens conservateurs ont financésa campagne avec sept fois plus d’argent que son concurrent démocrate n’en a obtenue.
Le mouvement se trouve actuellement à la croisée des chemins et cherche une perspective militante. Mais l’expérience a radicalisé des dizaines de milliers de personnes.
Grâce à Occupy, la responsabilité de Wall Street, du capitalisme dans l’aggravation incessante des inégalités et les ravages sociaux provoqués par la crise, font désormais partie des débats publics. Les mots « 1 % »et « 99 % » sont entrés dans le vocabulaire courant. Le mouvement entamé le17 septembre 2011 était centré sur des occupations de lieux publiques. Mais, après quelques mois, l’hiver, la violence policière,la fatigue militante a réduit la participation aux noyaux durs. Comme pour le mouvement de Madison, mesurer l’impact d’Occupy est difficile. Ses effets se manifesteront à plusou moins long terme quand les gens éveillés par ces messages ou formés par leur participation au mouvement joueront un rôle dans des luttes à venir.
Milwaukee, le 27 Octobre 2012.
Qu’est-ce qui ne va pas avec l’idée du « moindre mal » ?
Extraits de l’éditorial du 24 octobre 2012 de Socialist Worker journal de ISO (International Socialist Organization)
Des millions de personnes sont malades ou effrayées à l’idée d’une victoire de Romney-Ryan en novembre. Il n’y a pas besoin d’écouter longtemps Romney ou Ryan – et en particulier leurs amis républicains qui sont moins prudents dans leur discours réactionnaires extravagants – pour comprendre ces craintes.
Mais derrière l’appel à voter pour« le moindre mal » afin d’éviter « le plus grand mal », il y a des croyances quise sont avérées fausses dans l’histoire.L’une d’entre elle est l’idée que voter démocrate permettrait de s’opposer au « plus grand mal ». Pourtant n’importe qui ayant soutenu Obama en 2008en croyant qu’un ancien professeurde droit aurait au moins mis un terme aux attaques contre la Constitutionde l’administration Bush aura des difficultés à expliquer ce qu’il y a de « moindre » dans les maux que la Maison blanche continue de perpétrer au nom de la « sécurité de la patrie ».
Une autre est la notion selon laquelle les progressistes auraient des conditions plus favorables pour atteindre leurs buts si les démocrates sont à la Maison blanche. En réalité, quatre années avec Obama ont démontré le contraire.
Le monde du travail n’a rien vu de ressemblant au changement espéré avec la victoire d’Obama il y a quatre ans.
De façon générale, Obama et les démocrates représentent dans ces élections le moindre mal sur la plupart des questions, mais pas sur toutes. Ceci mis à part, ils s’en sortent bien. Si la question se limite à choisir quel estle moindre mal, alors les démocrates peuvent être assurés d’un soutienà gauche et évoluer de plus en plusà droite à la recherche du soutiendu centre voire pire.
Comme le disait fort bien l’historien Howard Zinn, ce qui importe le plus n’est pas qui siégera à la Maison blanche mais qui manifeste et proteste. Si le monde du travail et le mouvement social ne sont pas mobilisés et ne luttent pas par en bas, alors le courant politique dominant sera façonné parla pression venue d’en haut, par les exigences et les priorités de la classe dirigeante.