L’élection présidentielle du 21 novembre, ainsi que le renouvellement partiel des chambres et des conseils régionaux, devaient sanctionner la crise du régime issu de la dictature de Pinochet. Elles devaient également pour beaucoup à gauche poursuivre le processus constituant en cours incarnant une véritable alternance. L’arrivée en tête de l’extrême droite réveille les inquiétudes largement au-delà des milieux militants. Comment en est-on arrivé là après la puissante révolte de 2019 ?
Avec 53 % d’abstention, c’est donc moins de la moitié du corps électoral qui a mis en tête deux candidats qui brisent définitivement le système d’alternance entre, d’un côté, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates et, de l’autre la droite conservatrice.
Permanences du passé
José Antonio Kast (28 %), fils d’un officier du IIIe Reich et riche entrepreneur, incarne désormais une extrême droite fasciste, qui a laissé de côté son rôle de force d’appoint pour devenir l’axe central d’une coalition, s’assurant la moitié du Sénat et une majorité possible de travail ou de blocage à la chambre des députés. Gabriel Boric (26 %), issu de la contestation étudiante de 2011, incarne une nouvelle gauche, plus radicale dans les mots que l’ancienne – une tâche aisée – et censée incarner un débouché politique des mouvements sociaux. Cette polarisation politique reflète en partie la polarisation sociale, mais la nouvelle poussée de l’extrême droite sur le plan électoral était sensible depuis plusieurs mois.
En jouant la carte du parti de l’ordre, Kast a réussi, via les réseaux fascistes et chrétiens, à contenter les secteurs de la bourgeoisie et de secteurs intermédiaires paniqués par le risque d’un déclassement. Le Chili est le troisième pays au monde pour le nombre de cas graves de la pandémie, a vu exploser la misère et son cortège de violences, et on a même assisté à Iquique à des émeutes orchestrées par les fascistes contre les migrantEs. Boric avait de belles promesses électorales, mais une parole discréditée par ses revirements, et la tache indélébile d’avoir désavoué publiquement les milliers de révoltés emprisonnés suite à l’explosion sociale. La contestation sociale n’avait pas de candidat et c’est l’une des clés de la situation.
Présence du futur
Les secteurs moteurs de la révolte de 2019, à savoir la jeunesse en général et des milieux populaires en particulier, n’ont pas participé aux élections. La gauche le leur reproche. Il faut aller toutefois plus loin que cette gestion morale de la peur. Car tout n’était pas écrit à l’avance. Si l’extrême gauche trotskiste unie n’a pas pu créer la surprise, la candidature indépendante de Fabiola Campillay illustre un véritable potentiel. Cette ouvrière des quartiers pauvres de Santiago, élue sénatrice, a été rendue aveugle par un tir de lacrymogène ; avec courage, elle a par son langage simple, de classe, réussi à donner un visage aux exploitéEs et aux pauvres qui l’ont appuyée. Cette performance, au-delà des limites d’une telle candidature, montre un potentiel négligé. Lorsque la contestation trouve une expression, elle s’en empare.
Le second tour, le 19 décembre, laisse le temps à bien des combinaisons, des rebondissements. La presse patronale chilienne, mais aussi le Financial Times, sont conscients des risques. Une gauche sans majorité parlementaire et une extrême droite revancharde ne garantissent aucune stabilité pour les affaires. Et les conditions d’une nouvelle explosion sociale sont toujours présentes.