Publié le Dimanche 2 décembre 2012 à 21h43.

Elections en Algérie

Mohand Sadek Akrour : « Nous sommes convaincus que seule la révolution va en finir avec ce pouvoir »

Entretien avec Mohand Sadek Akrour, P/APC sortant de Barbacha et candidat du PST aux élections du 29 novembre prochain. 

Votre liste de candidature aux élections locales du 29 novembre prochain a été rejetée par le wali puis acceptée par la justice, pour quelles raisons, selon vous ?
Notre liste a été acceptée par un jugement du tribunal administratif le lundi 22 octobre, mais aussi, grâce, plus aux moins au soutien de la population locale. Le verdict n’a fait que rendre justice finalement, parce que la décision du wali était une décision arbitraire, politicienne qui nous donne, peut être raison que ce ne sont pas les élections qui vont changer les choses mais sont un moment de lutte, que ce pouvoir n’est pas démocratique et exprime sa nature dictatoriale et monopoliste du champ politique. Il a déjà vu ce que nous avons fait ces cinq dernières années  durant notre mandat que nous avons exercé, nos interventions, notre façon de gérer qui est en antagonisme total avec ce pouvoir. Le wali ne m’étonne pas qu’il refuse notre liste car, effectivement j’ai participé à des marches, j’ai donné les moyens de l’APC aux syndicalistes, aux mouvements sociaux car ce sont les moyens du peuple et ils reviennent au peuple. J’ai pris des positions pendant des rassemblements populaires de chômeurs, de syndicalistes communaux automatiquement cela dérange le pouvoir, qu’un élu exerce sa casquette de représentant du peuple au lieu de celle de l’Etat, du pouvoir.
Avez-vous boycotté le wali de Béjaia pendant ses visites à Barbacha?
Nous ne l’avons pas boycotté á première vue. Il a déjà fait deux déplacements à Barbacha, il a été très bien reçu. Il a eu des visites guidées dans la majorité des villages. Seulement, il y a eu des promesses qui ont été faites de sa part et des exigences de notre part qui ont été formulées, notamment l’exigence minimale en date du début février, sur l’acquisition d’un bulldozer, parce que notre commune est une région rurale et sa richesse réside dans l’agriculture, l’élevage, l’arboriculture et les produits du terroir, et pour les développer il faut des pistes agricoles. Une fois, ces promesses n’ont pas été respectées, on a boycotté le wali, une première fois en lui disant, vous n’avez pas tenu vos promesses, nous vous boycottons mais nous ne vous empêcherons pas de venir à Barbacha. Nous n’avons pas fait de mouvement pour l’arrêter. En effet, il est déjà venu et il a été reçu par le chef de daïra. Une seconde fois, il a programmé une visite dans la commune limitrophe, Kendira et le chef de daira nous a demandé si le wali pouvait inclure Barbacha dans sa visite. Et on leur a dit si vous avez des choses à nous ramener vous êtes les bienvenus sinon il vaut mieux la reporter. Le wali a opté pour une décision très sage en optant pour le report. Mais au retour de Kendira le wali s’est arrêté dans notre commune au niveau d’un chantier de logements sociaux, et ce qui nous mis en colère et nous avons diffusé notre déclaration dénonçant la visite du wali en l’absence des élus locaux.
Pouvez-vous motiver votre choix de participer aux prochaines élections ?
Pour les élections, nous réitérons à longueur d’année que ce ne sont pas les élections qui vont changer les choses en Algérie. C’est notre conviction, tant qu’il n y a pas de conscience de classes  chez les larges masses populaires dans ce pays, qu’il n’y pas un rapport de force énorme pour arrêter les fraudes électorales exercées par l’administration du pouvoir, parce que le pouvoir détient toutes les tentacules possibles pour frauder, donc il faut un mouvement populaire, de gauche assez fort pour aller vers le changement. Ce que nous voulons c’est la révolution. Nous sommes convaincus que seule la révolution va en finir avec ce pouvoir capitaliste et maffieux. Nous considérons, que, là on peut libérer un espace, il faut le libérer y compris par les élections. Les élections pour nous, c’est un mouvement de lutte pour profiter d’une tribune d’expression pour s’adresser au peuple, exprimer notre ligne politique parce que le champs politique est fermé pendant toute l’année et on considère que pendant ces « récréations », c’est une opportunité pour le parti et pourquoi pas gagner quelques espaces pour exercer sa politique et porter la contradiction au sein même des institutions de l’Etat. Bien sûr, tout en gardant le cordon ombilical avec les masses populaires  et avec le rapport de force qu’il faut créer toujours. C’est ce que nous avons fait pendant 5 ans à Barbacha. Nous avons présenté des listes uniquement dans les communes ou nous avons des militants pour éviter les opportunistes et les gens de la « chkara »,  Nous sommes présents dans 11 communes au niveau national et 2 communes à Bejaia, à savoir Barbacha et Adekkar. Nous étions prêts à parrainer aussi, des listes de gauche, de syndicalistes de militants du mouvement associatif, nous avons parrainé ces listes dans d’autres wilayas.
Vous avez également des candidats pour les élections des APW, selon nos informations. C’est exact ?
Au niveau de l’APW, effectivement parce que c’est aussi un enjeu assez important, on ne peut pas avoir une APC qui peut exercer ses fonctions si il n’y pas d’appui au niveau de la wilaya, notamment au niveau financier car le budget de wilaya est assez conséquent et parce que c’est un espace qui représente toute la wilaya où l’on peut aussi avoir de l’influence politique. C’est dans ce sens que nous avons présenté 3 listes au niveau national à Mostaghanem, Tlemcen et bien sûr a Bejaia. Notre candidat a Béjaia est Kamel Aissat, docteur en biologie, enseignant de l’université, un syndicaliste et un militant de première heure, avec 30 ans comme militant du parti.
Certains partis politiques ont choisi de boycotter les élections locales du 29 novembre prochain arguant que le vote ne ferait que cautionner le régime en place. Qu’en pensez-vous ?
Mais bien sûr, nous les appelons, qui sont ces partis ?  Nous leur disons, que boycotter est une option politique que nous partageons, mais boycotter en restant les bras croisés est une démission. L’abstention passive ne joue pas en faveur  des intérêts des masses populaires mais boycotter activement nous sommes partants.
Que voulez-vous dire par « boycotter activement » ?
Boycotter activement, cela veut dire empêcher les élections de se dérouler, cela veut dire faire la révolution, faire sortir les gens dans la rue. Voici un boycott qui a un sens.  On a boycotté et resté absent depuis plusieurs années durant les rendez-vous électoraux et nous n’avons pas pu mettre en avant un mouvement populaire pour empêcher les élections, ce qui est une démission. Comme nous l’avons dit par le biais de notre secrétaire général, boycotter et rester chez soi n’est pas une option du PST.
Vous avez également mentionné les risques de fraude dans chaque rendez-vous électoral. Ces risques ne sont-ils pas présents aux prochaines élections auxquelles vous prenez part ?
Les risques de fraude sont présents au niveau de l’APW  et des APC également. Il est encore possible de faire barrage à ces fraudes, si l’administration active ses réseaux au niveau des corps constitués de l’armée et d’autres corps constitués qui sont ajoutés aux listes d’électeurs locaux. Nous avons vu comment la fraude a eu lieu aux législatives de  mai 2012, à travers le vote des corps constitués, et dans d’autres élections auparavant. Ce risque de fraude se pose aussi aujourd’hui à Adekkar, là où il y  a des corps constitués de l’armée. Nous avons une liste et nos camarades a Adekkar ont entamé une action avec le FFS et le RCD qui se sont retirés à la dernière minute au moment où le PST a organisé un rassemblement a Adekkar le 30 octobre pour dénoncer ces listes. Dans ce sens, il peut y avoir fraude. Mais si le wali savait qu’il pouvait tricher à Brabacha, il n’aurait pas refusé notre liste. Là où il n’y pas de corps constitués, là où la population veille sur la transparence et la sécurité et s’auto organise au niveau des bureaux de vote, le pouvoir ne peut pas tricher. Si on peut généraliser cette conscience au niveau national, on peut créer l’évènement anti-pouvoir au niveau national.
Les militaires ont le droit de vote comme tous les Algériens mais doivent voter dans leurs lieux de résidence. Les inscriptions massives qu’ils ont faites dans la commune d’Adekkar sont des choses à dénoncer et nous devons barrer la route à ces pratiques frauduleuses qui enfreignent le code communal.
Béjaia a déjà vécu de tels scénarios aux législatives passées, au niveau de l’école primaire des Quatre Chemins où de jeunes appelés militaires ont été ramenés pour bourrer les urnes, quelles garanties pour que de tels scenarios ne se reproduisent pas aux communales prochaines?
Effectivement, cela s’est passé à l’école Boucherba, le dépouillement a eu lieu à la daïra de Bejaia. La répartition des voix était au niveau de la coalition du pouvoir c’était très clair, deux urnes au FLN, il n’y avait aucune voix discordante à l’intérieur d’une seule boite, c’était flagrant. Le pouvoir est capable de reproduire ces pratiques frauduleuses.
La CNSEL a gelé ses travaux momentanément en guise de protestation, qu’en pensez-vous ?
Effectivement, je pense que les demandes de la commission nationale de surveillance des élections, ses revendications déposées au niveau du ministère de l’Intérieur, n’ont pas été honorées, il n’y pas eu de réponses  aux recommandations, du moins de la commission nationale. Ce pouvoir est machiavélique et n’a aucune volonté d’instaurer une démocratie dans ce pays. C’est pour cela que nous croyons que seul un rapport de force largement populaire est à même de mettre un terme à ce pouvoir maffieux. Sinon cela reste effectivement que ce que nous faisons est réformiste et on le reconnait. Mais au risque de le répéter, tant que le boycott prôné par nous-même ou par d’autres auparavant revenait à être un silence ou une démission qui n’ont pas réussi à drainer les masses dans la rue pour empêcher les élections de se tenir, donc c’est une participation symbolique et tactique de notre part.
Quelle légitimité, d’après vous, peut un élu local tirer d’un vote dont le taux de participation ne dépasse pas les 26 % comme c’était le cas à Bejaia lors des élections législatives du mai dernier ou durant des élections communales antérieures?
Ce n’est pas légitime du tout, d’abord ce sont des députés produits par la fraude, par une coalition coptés par le pouvoir en place, avec l’absence d’un cadre juridique. En 2002, on a eu des députés qui ont été élus avec des taux de 2 %, après le mouvement de 2001, ce qu’on a appelé à l’époque « les indus élus », parce qu’il n y a aucun texte dans le code électoral qui exige un minimum de taux pour la validation des élections.
Il n’y a aucune légitimité, évidemment, la preuve aujourd’hui le ministre de l’Intérieur qui a été, plus au moins « honnête » en déclarant  qu’il aspire à atteindre le taux de participation de 45 %.  C’est une reconnaissance officielle qu’ il n’y pas eu plus de 45 % de vote en Algérie, que la représentation au niveau national est à revoir aujourd’hui. Mais bien sûr  dans nos communes nous essayerons de mobiliser la population pour voter en notre faveur pour être des représentants réels. Parce qu’on ne peut pas être représentant avec des taux bas.  Si nous n’avons pas eu, en 2007, la majorité absolue à Barbacha, je pense que nous n’aurions pas pu cohabiter avec les autres.
Vous avez déclaré récemment qu’un SNMG à 35 000 DA est obligatoire en Algérie pour améliorer le pouvoir d’achat du citoyen. Un avis partagé par beaucoup d’experts économiques mais le gouvernement ne l’entend pas de cette oreille. Pensez-vous que cette estimation est en mesure de faire face à la situation de l’inflation actuelle ?
D’abord, il faut savoir que le SNMG à 35 000 DA n’est pas l’estimation faite par le PST, c’est l’UGTA qui a fait ce calcul. D’autres syndicats autonomes optent pour 42 000 DA. De notre part, nous disons, aujourd’hui avec l’inflation galopante que nous avons vécue ces derniers mois, l’inflation qui a démarré au milieu des années 1980 ; une augmentation générale des prix  sur le long terme et le long terme aujourd’hui date de 30 ans. Donc aujourd’hui, je pense un salaire minimum de 50 000 DA est insuffisant pour vivre dignement dans notre pays. Je suis enseignant universitaire avant d’être P/APC, je prends aux moins un salaire de base avant d’être détaché à l’APC et avec mon salaire de 80 000 DA, je n’arrive pas à vivre décemment et que dire des familles nombreuses ? Regardez les prix des produit de première nécessité, les prix des matériels scolaires, c’est à dire les dépenses obligatoires des ménages ce ne sont pas des dépenses de prestige. Donc 35 000 DA était logique il y a une année, aujourd’hui, il devient déjà insuffisant.
 
Propos recueillis par Farid Ikken