Tout d’abord, il est permis de dire que les élections locales du 31 mars en Turquie marquent un déclin du pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP- le parti d’Erdogan au pouvoir) au pouvoir et une augmentation du soutien au Parti républicain du peuple (CHP). Dans le cadre du nouveau système électoral en Turquie, l'AKP a poursuivi son alliance avec le parti d'extrême droite du Mouvement nationaliste (MHP) et le CHP s’est allié avec le Bon Parti, parti nouvellement créé par des membres du MHP qui s’en sont séparés. A l'appel de son chef, Selahattin Demirtaş, l'un des nombreux hommes politiques kurdes emprisonnés, le Parti démocratique du peuple (HDP- Kurdes et gauche) a également apporté son soutien à l'alliance dirigée par le CHP dans de nombreuses villes, alors qu'il se présentait également en tant que HDP dans des villes kurdes.
Ainsi, le CHP a remporté les quatre plus grandes villes de Turquie, à savoir Istanbul, Ankara, Izmir et Adana, bien que les résultats d'Istanbul n’aient été annoncés que le lendemain des élections. La nuit a été longue pour 16 millions d’habitants d’Istanbul puisque l’Anatolian News Agency (AA), une entreprise publique, a cessé d’envoyer les résultats du vote aux médias après 23h00. Et le Conseil suprême des élections a également attendu jusqu'au lendemain matin pour annoncer les résultats pour Istanbul. Ce n’est pas la première fois que l’agence d’information officielle AA utilise cette stratégie consistant à diffuser de bonne heure les votes favorables l’AKP puis à faire à attendre les résultats pendant un certain temps. Il s’agit d’une tactique de manipulation et d’une tentative pour briser la volonté des millions de responsables du scrutin qui, tout au long de la nuit, tentent d’assurer la sécurité des votes pour l’opposition.
Dans les villes où AKP et MHP sont entrés aux élections séparément, le MHP les a presque toutes remportées; ainsi, il est également prudent de dire que des votes de droite ont été transférés de l’AKP au MHP dans un certain nombre de villes. Donc, clairement, une partie de l’échec de l’AKP ne signifie pas que les électeurs deviennent de moins en moins réactionnaires, mais marque surtout un transfert des votes entre les partis de droite.
Le HDP de gauche issu du mouvement kurde a cependant réussi a reconquérir six des dix villes placées sous tutelle de l’Etat (villes où les maires ont été limogés et remplacés par un administrateur du gouvernement). Toutefois Sırnak, l'une plus fortes forteresses du HDP, a été largement gagnée par l'AKP; ce qui ne peut pas s’expliquer seulement par l’augmentation du nombre des forces de sécurité et des responsables gouvernementaux installés dans la ville.
Cependant, il convient de mentionner clairement que l'ensemble du processus électoral était totalement injuste pour toute opposition, mais encore plus injuste pour le HDP, étant donné que presque tous les médias (à l'exception de quelques chaînes indépendantes) sont détenus et / ou contrôlés par le gouvernement et que les dirigeants de l'opposition n'y avaient pas leur place, sans compter que le HDP est constamment criminalisé par le gouvernement.
Il convient également de mentionner quelques points saillants: le HDP est redevenu le parti qui compte le plus grand nombre de femmes élues lors des élections du 31 mars avec 54 femmes élues; ce qui n’est pas une surprise puisque le système de co-maire (une femme, un homme) est un principe de parti pour le HDP. Un autre résultat frappant est venu de Dersim (est de la Turquie), où le candidat du Parti communiste turc, Fatih Mehmet Macoglu, a gagné (il était auparavant maire du district d'Ovacık de Dersim).
En résumé, les élections peuvent être considérées comme une victoire à la fois pour le CHP et le MHP, et ont également démontré la capacité de résistance du HDP. L’AKP a perdu les villes les plus importantes en plus de la démoralisation dans ses rangs. Et malgré la diminution de son nombre de voix, le camp du CHP pour l’avenir doit absolument garder à l’esprit le soutien du HDP, en particulier dans des villes comme Istanbul, Ankara et Adana, en ce qui concerne son attitude à l’égard de la question kurde.
S. Ozturk (Traduction HW)