Publié le Jeudi 22 juillet 2021 à 08h00.

En Italie, les yeux bandés face à l’horreur des morts de la Méditerranée

Le 14 juillet 2021, sur la place de Montecitorio à Rome (siège du Parlement italien), la manifestation « Libye, un bandeau pour ne pas voir ? », promue par 100 organisations, a exprimé son refus et sa colère suite au renouvèlement des missions à l’étranger et du financement des garde-côtes libyens décidé par le gouvernement de Mario Draghi.

Lévénement a démarré avec une minute de silence pour commémorer les morts en Méditerranée, suivie par le témoignage touchant d’un jeune migrant ayant vécu l’horreur de la détention en Libye.

Les ONG demandent l’abolition de Frontex et des accords avec la Libye

Les organisateurEs, parmi lesquels on peut mentionner l’Arci, Emergency, Amnesty International ainsi que de nombreux activistes luttant contre le racisme et des bénévoles des ONG de la Méditerranée comme Mediterranea, Open Arms, Sea-Watch, Médecins sans frontières ou SOS Méditerranée, demandent l’interruption du financement et de la coopération avec la Libye, la libération immédiate des personnes emprisonnées dans les centres de détention, l’élargissement des canaux d’accès réguliers, le rétablissement d’un système institutionnel de recherche et de sauvetage en Méditerranée ainsi que la reconnaissance du rôle essentiel des ONG dans la protection des vies humaines en mer. Les manifestantEs portaient un bandeau sur les yeux dont la symbolique visait à dénoncer le comportement des autorités italiennes et européennes ayant choisi de ne pas voir l’horreur des camps de migrantEs et de continuer à cautionner, à travers leurs politiques d’expulsion, la violation des droits humains.

La culpabilité et l’indifférence des régnants

Tiraillé entre l’extrême droite xénophobe de Matteo Salvini et la position critique du Parti démocrate, le gouvernement Draghi a décidé de garder une continuité avec la politique indécente de gestion des flux migratoires inaugurée par le gouvernement Gentiloni en 2017. Peu importe si cela contrevient aux droits inscrits dans la Constitution italienne et dans les conventions internationales, l’important étant de préserver une stabilité gouvernementale pour poursuivre le processus néolibéral de « modernisation » du pays. Moins glorieuse que les victoires footballistiques de la Squadra azzurra, la décision de fermer les yeux face aux crimes contre l’humanité peut être écartée de l’espace public par de nombreuses opérations de diversion. Ils peuvent même prétendre que cela répond à une logique d’efficacité dans la gestion des flux migratoires mais la vérité est tout autre. La criminalisation des ONG n’a pas eu l’effet escompté par les autorités italiennes et européennes : les flux migratoires sont en hausse (+ 59 % par rapport à l’année dernière selon l’agence européenne Frontex), en particulier ceux au départ de la Libye et de la Tunisie (21 955, + 159 %). Cela est dû au fait que les mouvements des populations ne sont pas liés à la possibilité de recevoir ou pas un secours en mer mais à d’autres facteurs comme les crises, sanitaires, économiques et politiques, et la recherche, légitime, de meilleures conditions d’existence.

Expulsion et violence as usual 

La Libye continuera donc à gérer l’expulsion avec les ressources mises en place par l’Italie et l’Europe ; elle sera libre de continuer à le faire dans l’indifférence la plus totale des droits humains fondamentaux. Il suffira de fermer les yeux et penser à autre chose pendant que les tortures, les viols, les violences, la réduction à l’esclavage et les morts se poursuivront.

Depuis 2017, plus de 60 000 personnes ont été rejetées et expulsées à travers des outils et des opérations fournis et coordonnés par l’Italie et par les milices libyennes. Certaines opérations d’expulsion se cachent derrière la couverture du sauvetage et sont réalisées directement par les autorités italiennes au large du port de Tripoli. Selon la députée du Parti démocrate Laura Boldrini, la mission militaire doit être annulée, elle ne peut pas être revue ou modifiée car elle est contraire à la dignité politique du Parlement et au contenu de la Constitution ; tandis que le secrétaire de La Sinistra Italiana (La Gauche italienne) Nicola Fratoianni signale qu’il faut arrêter de traiter un phénomène structurel comme les migrations avec une politique de l’urgence.
Les manifestantEs descenduEs sur la place de Montecitorio nous demandent d’agir afin de rétablir des principes élémentaires d’humanité. Nous ne pourrons pas fermer les yeux indéfiniment et nous ne comptons pas le faire.