Publié le Vendredi 14 mars 2014 à 18h53.

État espagnol. « Podemos ! » : nous pouvons !

C’est le nom d’un projet de liste aux prochaines élections européennes, mais surtout d’un mouvement qui secoue la gauche espagnole. À l’appel des initiateurs, plusieurs dizaines de milliers de personnes participent à un processus de constitution d’une nouvelle force politique.

On ne peut saisir la dynamique de « Podemos » sans revenir aux traits fondamentaux de la situation dans l’État espagnol. 

Crises sociale et politiqueAu-delà d’une croissance qui se redresse légèrement, du développement des exportations et de l’investissement, le chômage explose à plus de 26 % de la population active et à plus de 40 % chez les jeunes. La réduction des budgets sociaux attaquent frontalement la santé et l’éducation et tous les services publics.Cette crise économique se conjugue à une crise politique de légitimité des institutions mises en place dans la transition post franquiste après 1978, et en premier lieu la monarchie. La droite au pouvoir, elle, subit la pression de secteurs néo-franquistes, ce qui la conduit par exemple à remettre en cause le droit à l’avortement.Dernière preuve majeure que des questions démocratiques ne sont pas résolues en Espagne : les questions nationales en Catalogne et en Euzkadi (Pays basque), en particulier avec la convocation d’un référendum d’autodétermination en Catalogne. Convoqué à la fin de cette année, ce référendum ne reconnaît pas le pouvoir central et entraînera une crise ouverte entre Madrid et la Catalogne. La mobilisation pour le droit d’autodétermination est massive. C’est ce qui permet aussi l’émergence d’un courant radical, tel « el Process Constituant » qui vise à donner un contenu anticapitaliste à la question nationale.Quant au Parti socialiste (PSOE), il est totalement identifié comme un des responsables des politiques d’austérité, et si la Gauche unie (coalition autour du Parti communiste) voit ses estimations de vote augmenter, sa politique d’alliance avec le PSOE, en particulier au gouvernement andalou, provoque une large défiance des secteurs les plus combatifs.

Victoires partielles, nouveau mouvementMais depuis l’explosion du mouvement des indignés, le facteur marquant de la situation espagnole, c’est la succession de vagues de mobilisation de masse, avec des journées d’action et de grèves, mais surtout les « marées ». Elles ont submergé les secteurs de l’éducation et de la santé, telle la marée blanche à Madrid ou verte en Andalousie. Cela sans oublier « Gamonal » à Burgos, où la population de la ville s’est dressée contre un projet de réorganisation d’une des voies principales de la ville.Ces derniers mouvements ont obtenu des victoires partielles, ce qui stimule la mobilisation. Ainsi, à Madrid, la privatisation de certains hôpitaux a été abandonnée. À Burgos, la mobilisation a eu raison des projets de restructuration de la voirie.Il y a donc dans la conjoncture espagnole des conditions favorables pour lier la protestation sociale et une perspective de rupture radicale avec le système. C’est dans ce contexte que « Podemos » prend son envol. Lancé par des animateurs de débats à la télé ou sur internet, dont Pablo Iglesias, présentateur d’une émission, La Trueka, le mouvement a vite été rejoint par Izquierda Anticapitalista et d’autres courants politiques. Plus de 100 000 personnes ont soutenu le Manifeste de lancement du mouvement. Et il y a aujourd’hui plus de 200 cercles et plusieurs milliers de personnes actives dans le processus : organisées, inorganisées, combatives, défiantes des partis traditionnels...Le Manifeste de « Podemos », intitulé Mover ficha (bouger les lignes) reprend une série de revendications centrales face à la crise : le refus de payer les dettes illégitimes, le rejet des politiques d’austérité, des coupes claires dans les budgets, des privatisations, la nationalisation des banques, le droit d’autodétermination pour les nations de l’État espagnol.Pour le principal porte-parole du mouvement, ses références renvoient aux expériences nationalistes et anti-impérialistes d’Amérique latine. D’autres sont plus liées à l’exigence anticapitaliste. Beaucoup de choses restent donc à décider : l’édifice est fragile, mais « Podemos » change la donne à gauche en Espagne. À suivre.

François Sabado