Entre 1959 et 2014, l’espérance de vie des ÉtatsunienEs était à la hausse. Le pays avait tout de même essuyé deux années de recul en 1962 et 1963, du fait d’une grippe particulièrement virulente. L’année 1993 fut également catastrophique, suite notamment à l’épidémie du virus du sida. Néanmoins, ces trois années restèrent exceptionnelles. Depuis 2014 en revanche, l’espérance de vie outre-Atlantique tend à diminuer régulièrement.
Quelques causes de décès semblent ressortir plus que les autres, principalement les overdoses d’opiacés, l’obésité, les maladies de foie et le suicide. Selon les chercheurEs, ces causes de décès seraient souvent à rattacher à un phénomène de désespérance sociale. Les prescriptions d’antidouleur sont concomitantes de suicides et d’alcoolisation. Anne Case et le prix Nobel d’économie Angus Deaton, chercheurs à l’université de Princeton, parlent à ce propos de « morts du désespoir ».
La disparition de nombreux emplois stables et assez correctement payés au cours des dernières décennies a plongé une partie de la classe ouvrière étatsunienne dans cette désespérance. C’est la fin des « blue collars » (cols bleus) qui avaient arraché des salaires corrects dans l’industrie. Une partie du rêve américain s’effondre. Il n’est plus possible à ceux qui ne détiennent pas de diplômes universitaires d’accéder aux emplois protégeant du chômage et assurant une protection sociale correcte. Le système de santé est coûteux et peu sécurisant.
Anne Case et Angus Deaton se sont particulièrement penchés sur le cas des « petits Blancs », qui antérieurement pouvaient faire figure de privilégiés par rapport beaucoup de leurs concitoyens afro-américains. Ils subissent aujourd’hui une profonde détérioration de leurs conditions de vie. La remise en cause de leur statut professionnel et social génère un malaise et bien souvent un désespoir compensé par l’alcool et les opioïdes qui réduisent leur espérance de vie.
Dans une étude publiée en 2015, les deux auteurs soulignaient également l’angoisse grandissante par rapport au niveau de retraite : « Les États-Unis se sont orientés principalement vers des systèmes de pension par capitalisation liés aux aléas des marchés boursiers, tandis qu’en Europe, le régime de retraite à prestations déterminées est encore la norme ». Ils notaient que l’impact de cette « insécurité économique » liée aux montants futurs des retraites pourrait jouer un rôle dans cette inédite augmentation des taux de mortalité. Avec la réforme Macron, un tel avenir pourrait bien s’annoncer pour les travailleurEs français !