Retour sur la primaire démocrate, quelques jours après le « Super Tuesday ».
Pourquoi Biden gagne-t-il ? Tout d’abord, après la victoire de Joe Biden en Caroline du Nord, les autres modérés – Pete Buttigieg et Amy Klobuchar – ont abandonné. Puis ils ont déclaré leur soutien à Biden, comme l’avait fait auparavant Beto O’Rourke. Ils ont tous les trois participé, avec Biden, à un grand rassemblement à Houston, Texas, avec une importante couverture médiatique qui a sans aucun doute influencé les votants dans cet État et ailleurs. Le lendemain, Michael Bloomberg, qui avait dépensé des millions et obtenu très peu de délégués, a lui aussi abandonné et déclaré son soutien à Biden.
L’establishment à la manœuvre
Il n’y a rien de surprenant dans le fait que l’establishment démocrate se coalise derrière un candidat modéré, a fortiori lorsque, comme dans le cas de Buttigieg, les encouragements viennent de Barack Obama. On ne doute pas que Klobuchar, Buttigieg et O’Rourke se sont vu promettre, ou espèrent, une récompense politique, peut-être une place au gouvernement, ou d’autres postes à responsabilité. Nous savions que l’establishment était puissant – les banques, les grandes entreprises, les médias dominants, la classe politique – et désormais nous le voyons en action.
Le soutien pour Sanders a, en outre, été sans aucun doute quelque peu exagéré, en raison des rassemblements de soutien, très fréquentés et galvanisants, et aussi de l’importante somme d’argent qu’il a réussi à lever – alors que l’essentiel de cet argent vient d’environ 5 millions de donateurs, alors qu’il devrait y avoir 140 millions de votants [lors de la présidentielle]. Ces éléments ont été de bons indicateurs de la ferveur des supporters de Bernie, mais pas de la profondeur et de l’ampleur de la campagne.
Sanders s’est avéré être plus faible que ce que beaucoup de ses soutiens pensaient. Sa stratégie fondamentale a échoué : les jeunes votants et les autres nouveaux votants ne sont pas allés voter en nombre suffisant pour modifier le rapport de forces et lui permettre de gagner. En réalité, beaucoup de jeunes, comme Sanders l’a lui-même reconnu, ne sont même pas aller voter. Et dans les endroits où la participation a augmenté, comme en Virginie et au Texas, la majorité des nouveaux votants étaient des modérés qui ont choisi Biden.
Le vote noir
Il y a en outre, bien évidemment, le vote noir. La plupart des noirs ne se définissent pas comme des libéraux. Il n’y a donc rien de surprenant au fait que, si Sanders a eu le soutien des jeunes électeurs afro-américains, la majorité des électeurs noirs – entre 60 et 70% – ont voté pour Biden en Virginie, en Caroline du Nord, en Alabama et au Tennessee. Sanders a eu du succès auprès des Latinos dans les États de l’ouest, qui a contribué à ses victoires dans le Nevada, au Colorado et en Californie, mais cela n’a pas suffi compenser le vote noir.
Les électeurs noirs ont voté par Biden car il a été le vice-président du premier président noir, Barack Obama. Et aussi, de façon plus importante, parce que l’establishment du Parti démocrate a travaillé depuis des décennies à convaincre les électeurs noirs que leur destin dépendait du parti. Bernie Sanders ne pouvait pas défaire les liens politiques forts établis depuis des décennies entre l’establishment et les politiciens et prédicateurs noirs, une relation qui a maintenu la communauté noire dans une situation de subordination et de dépendance.
Après des siècles de violence et d’abandon, d’exploitation et d’oppression, les électeurs noirs ont ressenti une immense fierté lors de l’élection de Barack Obama. Et aucun politicien démocrate, y compris Sanders, n’a osé dire la vérité – comme l’ont fait des intellectuels noirs comme William A. Darity Jr., Adolph Reed et Cornel West – à savoir qu’Obama avait abandonné la communauté noire. Personne n’a non plus dit tout haut que le vice-président Biden n’était rien d’autre qu’un sous-fifre souriant et insignifiant, alors que tous les noirs en sont évidemment convaincus.
Malgré tout, face à Trump, les Afro-Américains, n’ayant personne vers qui se tourner, se rallient à Biden et à l’establishment du Parti démocrate pour qu’ils les défendent, même si cela fait des décennies qu’ils ont échoué à le faire. En conséquence, et malheureusement, les noirs (au moins la majorité qui soutient Biden), qui ont été si souvent l’avant-garde des luttes sociales, ont adopté une position pragmatique qui fait d’eux une force conservatrice dans la primaire.
Lutte de classe
La raison la plus importante pour laquelle Biden est en train de gagner est que, alors que la campagne de Sanders a certaines des qualités d’un mouvement social, la lutte de classe n’est pas à un niveau suffisant pour propulser Sanders à la présidence et certains de ses semblables au Congrès. Un authentique mouvement politique de gauche a besoin d’un sentiment profond de crise dans la société et un désir puissant de changement qui s’exprimerait dans un conflit social. Les votes pour Biden, Buttigieg et Klobuchar indiquent qu’une majorité d’Américains ne pensent pas que nous soyons confrontés à une telle crise – où ne voient la crise que dans la présidence de Trump – et qu’ils ne désirent pas de changement structurel véritable.
Traduction J.S.
Verison intégrale en anglais sur New Pol.