Publié le Mercredi 1 avril 2020 à 15h08.

Grande-Bretagne : isolement et conscience de classe

Le Parti conservateur britannique a eu un succès considérable dans son projet lancé par Margaret Thatcher au début des années 1980, visant à démanteler les organisations de la classe ouvrière et à atomiser les communautés ouvrières. Les syndicats ne sont pas illégaux, mais les obstacles à l'action syndicale n’ont cessé de s'accroître. Les grèves sont rares. L'économie informelle et précaire emploie des millions de travailleurEs difficiles à organiser, même pour les quelques syndicats qui tentent de le faire. 

« Au-delà des rêves les plus fous de Jeremy Corbyn » ?

L’élection de Corbyn en 2015 comme dirigeant du Parti travailliste a parfois donné un aperçu de ce qu'un parti de masse vivant et mobilisé pouvait faire en attirant des centaines de milliers de personnes dans l'activité politique. Son programme contre l’austérité et le néo-libéralisme et pour un retour a une politique de renationalisations et de redistribution de richesses a vu le nombre d’adhérents au Parti travailliste grimpe au delà de 550 000. La défaite au élections générales de décembre 2019 a contraint Corbyn à démissionner. Le résultat de l’élection pour son remplaçant sera annoncé samedi 4 avril. Pourtant, c'est précisément à la fin de l'ère Corbyn que la classe ouvrière britannique révèle qu'elle conserve encore sa capacité à s'auto-organiser en dehors des structures des grands partis ou des syndicats. 

Le ministre des Finances conservateur Rishi Sunak a fait adopter un train de mesures que le journal The Times a décrit comme « une intervention de l'État qui va au-delà des rêves les plus fous de Jeremy Corbyn ». Il y a une garantie que l'État paiera 80 % des salaires jusqu'à 2500 livres pour chaque travailleurE forcé de rester a la maison. Il a ensuite introduit une mesure similaire pour les travailleurEs indépendants. De la part du parti qui a fait des banques alimentaires et de la pauvreté profonde de millions de personnes une marque de son passage au gouvernement, il s'agit d'une transformation stupéfiante. Sunak vole une grande partie du programme du Corbynisme pour répondre à la crise.  

Lorsqu'il est devenu évident que le gouvernement britannique allait devoir prendre des mesures pour contrôler la propagation de la pandémie, à l'instar de ce qui s'est passé en Espagne, en Italie et en France, des groupes de personnes, souvent jusqu'alors inconnus les unEs des autres, ont commencé à organiser des réseaux au niveau des quartiers et des rues individuelles. 

En général, les personnes concernées se connaissaient à peine. Certains étaient déjà engagés dans le Parti travailliste ou dans des groupes communautaires, mais l'afflux de nouveaux bénévoles a fait la différence.  

Un mouvement spontané 

Facebook, WhatsApp et Zoom sont les outils utilisés par ce mouvement spontané. Les gens se portent volontaires pour faire des courses pour une personne qu'ils ne connaissent pas et qu'ils ne verront peut-être que très brièvement en déposant la nourriture et le journal. Certains se portent volontaires pour promener le chien d'une personne qui est confinée à la maison en raison d'un problème médical. D'autres proposent de téléphoner à une personne vivant seule afin qu'elle puisse avoir un contact humain. 

L'État britannique n'a pas réussi à faire quelque chose de ce genre au niveau national et local. Les municipalités avaient l'habitude de livrer des repas chauds aux personnes âgées et aux personnes confinées à la maison. Les réductions de budget imposées par les Tories, auxquelles ces municipalités ont à peine résisté, ont mis fin à cette pratique. Les soins à domicile pour les personnes âgées ont été confiés à des entreprises privées qui sont connues pour leur hyper-exploitation des femmes et des travailleurEs migrantEs mal payés. Les services de santé mentale pour les enfants et les adultes ont été réduits à néant, et lorsque la pandémie aura pris fin, des centaines d'histoires d'horreur seront connues, sur la façon dont des familles ont dû faire face à un parent malade mental qui a été confiné à la maison pendant des semaines. La violence à l'égard des femmes va augmenter massivement. 

Les bénévoles de ces groupes de soutien micro-locaux savent qu'ils comblent certaines des lacunes de l'État. Mais ce qui les pousse à le faire, c'est un instinct socialiste d'action collective et de solidarité, même si certains le font par l'intermédiaire d'une organisation religieuse. 

L’heure des bilans viendra

Dans ces réunions sur l’appli Zoom et ces groupes WhatsApp, plusieurs milliers de personnes apprennent qu'elles savent s'organiser et qu'elles peuvent le faire de manière indépendante. Chaque jour, ils et elles constatent que les personnes qui sont essentielles pour faire fonctionner la société sont les travailleursEs qui remplissent les rayons des supermarchés, nettoient les hôpitaux et s'occupent des personnes âgées. Et ces travailleurEs aussi sortiront de cette expérience avec le sentiment qu'ils sont plus importants pour le monde que les banquiers et les capitalistes. 

On se souviendra sans doute de Boris Johnson comme le Premier ministre qui n'a pas su préparer le pays à une pandémie dont son gouvernement avait été prévenu à l'avance. On se souviendra de son mandat avec les milliers de familles qui n'ont pas pu être avec des proches mourants ou assister à leurs funérailles. Il jouit actuellement d'une bonne cote de popularité, mais à mesure que le nombre de morts augmentera et que l'on tirera les bilans dans les mois à venir, il sera considéré comme l'architecte de la catastrophe en Grande-Bretagne.

Le CoVid-19 apprend à des centaines de millions de personnes à travers la planète que la classe ouvrière est la classe vraiment indispensable. Plus que cela, il les oblige à apprendre à s'organiser pour survivre et résister. Et ce n'est pas un moment éphémère. Tout indique que des mois d'isolement et de pandémie sont à venir et que la frustration des gens face à l'échec de l'État va se transformer en furie. Ce pourrait être la renaissance d'une nouvelle conscience de classe militante. Keir Starmer, qui sera probablement le nouveau chef du Parti travailliste, ferait bien de s'en souvenir et ce n'est certainement pas le moment pour les partisans du projet Corbyn de quitter le parti.  

Cet article est paru dans une première version (en anglais) sur le site d’International ViewPoint