Publié le Vendredi 28 septembre 2012 à 10h39.

Grève victorieuse des mineurs de Marikana

Les mineurs de Marikana en Afrique du Sud ont gagné une importante augmentation de salaire après six semaines de grève contre la compagnie Lonmin sans soutien du syndicat. Après dix jours de grève en août, la police est intervenue pour briser la grève en attaquant l'assemblée quotidienne des grévistes, massacrant 34 d'entre eux. Claire Cerruti, membre de Keep Left et du Front démocratique de la gauche en Afrique du Sud en explique les enjeux.Quelle est l'importance de cette victoire des mineurs ? D'où vient-elle ?La grève a montré que l'on peut s'organiser par nous-mêmes, y compris en dehors des syndicats, et gagner. Et que tu peux gagner plus ainsi que dans les négociations réglementaires. Avant même l'accord, le massacre qui a eu lieu le 16 août a déclenché des grèves dans d'autres mines.Des travailleurs d'Anglo-Platinium et de Gold Fields sont toujours en grève. Les mineurs d'Anglo exigent même plus que ceux de Lonmin.La grève a été organisée en dehors des structures syndicales avec un comité de grève et des assemblées quotidiennes sur la colline où le massacre a ensuite eu lieu.Ces grèves sauvages ont eu tendance à se développer ces dernières années. Il y avait donc un groupe de travailleurs parmi les mineurs de sous-sol avec ce type de pratique d'auto-organisation. Ces travailleurs sont souvent précaires, allant de mine en mine.Après le massacre, les enjeux étaient devenus trop élevés pour que les mineurs abandonnent facilement. La grève est devenue totale avec seulement 2 % de non-grévistes.Les intimidations policières ont continué mais les mineurs ont obligé la direction à négocier directement avec eux. Ils ont finalement accepté moins que la revendication pour laquelle certains sont morts, et beaucoup moins que ce qui ne serait que justice en comparaison des profits faits dans ce secteur ces dernières années. Mais l'augmentation qui va de 10 à 22 % est du jamais vu.Et cette augmentation ne fait pas qu'élever les exigences pour les mineurs d'autres compagnies et pour tous les travailleurs, elle donne aussi l'exemple qu'un groupe de travailleurs qui s'est dressé pendant six semaines malgré la répression policière, qui s'est levé pour des revendications offensives et pas seulement pour un combat défensif, a gagné.

Quel a été l'impact du massacre sur la société sud-africaine post-apartheid ? Est-ce que ça a ouvert une nouvelle situation ?Le massacre a polarisé l'Afrique du Sud. Pour beaucoup de ceux qui étaient choqué s,cela a cristallisé le sentiment que quelque chose ne marche pas avec le nouveau gouvernement. Pour certains la question était simplement celle de la brutalité de la police. Mais le massacre a aussi démontré les racines de cette violence. Il a montré que ce gouvernement est prêt à massacrer des travailleurs pour développer la production. Il démontre à quel point ce gouvernement est impliqué dans une classe dirigeante internationale liée aux compagnies. Cela l'entraîne de plus en plus dans une confrontation avec le peuple qui a voté pour lui.La grève dépassait la question de l'argent. Il s'agissait pour les grévistes de prendre eux-mêmes les choses en main pour obtenir la « vie meilleure » que l'ANC au pouvoir avait promise mais n'a pas réalisée.Les grévistes étaient conscients qu'ils travaillent pour une des industries les plus riches du monde mais qu'ils vivent en enfer, logeant notamment dans des cabanes en tôle parce que la mine ne fournit pas de logements. Ce sont majoritairement des migrants d'autres parties du pays. Les communautés locales sont détruites par ce système des mines.Les profits des mines étaient auparavant une clef pour le maintien du système d'apartheid. Aujourd'hui les profits des mines, comme dans le cas de Lonmin, quittent le pays.

Comment la gauche radicale s'est-elle reliée à ce mouvement et à la situation générale ?La gauche radicale indépendante en Afrique du Sud n'est pas forte mais nous avons construit rapidement une campagne de solidarité et sommes allés au contact des mineurs. Néanmoins l'audience politique générale créée par le massacre et la grève se dirigera sans doute d'abord vers des forces plus larges comme le dirigeant militant populiste Julius Malema. Malema était le leader de la ligue de jeunesse de l'ANC jsuqu'à ce qu'il soit exclu l'an dernier par la direction de l'ANC. Ses appels à la nationalisation des mines comme élément d'un projet de libération économique a trouvé un écho dans la crise actuelle. Vu l'exportation des profits des mines, il est difficile de discuter sur ce point. Mais la gauche radicale devra se relier à ces mouvements plus larges pour mettre en avant une vision des nationalisations qui ne se contente pas de transférer les leviers de commande économique à des Noirs mais qui construise un mouvement ouvrier indépendant.Il existe une autre gauche radicale dont la taille et la forme ne sont pas encore claires mais qui se développe à l'intérieur des organisations traditionnelles comme la Cosatu, la principale fédération syndicale et même dans le parti communiste sud-africain (SACP).Cela peut sembler étrange alors que certains disent que le syndicat est fini et qu'il a démontré sa complicité avec le gouvernement. Les communiqués de la Cosatu sur le massacre ont été scandaleusement ambigus. Il a défendu sa plus grosse section, le syndicat des mines totalement discrédité. Et le résultat de la grève à Lonmin a fait émerger le spectre de l'inutilité des bureaucrates syndicaux. Cependant, sous la surface la polarisation après le massacre va continuer, et il faut voir comment elle s'exprime. Le syndicat de la métallurgie a été une exception importante, condamnant le massacre et le replaçant dans le contexte d'une accumulation du capital en Afrique du Sud ces dernières années. Beaucoup de syndicalistes à la base relient le massacre aux 16 dernières années d'alliance avec le gouvernement, sans résultats probants. La gauche radicale indépendante devra aussi prêter attention à ces développements.Propos recueillis par Denis Godard