Durant la journée du dimanche 6 mars, des milliers de manifestantEs ont exprimé leur opposition à la guerre dans de nombreuses villes de Russie. Les mots d’ordre de « Non à la guerre » et « Honte à vous » résonnaient.
La réalité de ces manifestations peut se mesurer au nombre d’arrestations reconnues par le ministère de l’Intérieur : 1 700 arrestations à Moscou, 750 à Saint-Pétersbourg, 1 061 dans d’autres villes. L’OVD-Info, une ONG de défense des droits humains créée en décembre 2011, donne les chiffres suivants : au moins 4 366 arrestations dans 56 différentes villes, y compris dans des villes de Sibérie. Selon OVD-Info, depuis le 24 février, le nombre d’arrestations dépasse les 10 000. Le contrôle strict de tous les médias effectué par la censure militaire ne cesse de se renforcer, comme l’indique à l’agences Reuters la porte-parole de l’OVD, Maria Kuznetsova… depuis Tbilissi (Géorgie).
Opération orwellienne de désinformation
La répression systématique de ces courageuses protestations va de pair avec la détermination du Kremlin de maintenir une bulle d’information qui participe d’une opération orwellienne de désinformation et de « lavage de cerveau » pour asseoir la version poutinienne de sa guerre d’agression. Cela est d’autant plus structuré étant donné la phase présente, c’est-à-dire le siège en cours d’importantes villes, accompagné par les bombardements accrus des secteurs résidentiels, et donc de la population, ainsi que par la destruction des infrastructures, des écoles, des hôpitaux et des bâtiments administratifs afin de détruire un élément organisationnel de la résistance. C’est une stratégie de terreur qui vise à briser et paralyser une population.
Cette guerre de siège se combine avec des prétendues ouvertures de « corridors humanitaires », qui ne sont pas mis en œuvre et dont l’impossibilité de le faire est imputée à la résistance de l’armée ukrainienne. À cela s’ajoute la gestion « géographique » des corridors : certains d’entre eux, pour exister, sont prévus en direction de la Biélorussie ou de la Russie ! Cette tactique de bombardements et de prétendues négociations humanitaires participe de la volonté de mener à son terme la phase d’assiégement des villes, donc une guerre qui frappe massivement la population.
Combien de temps ?
Or, la bulle médiatique dans laquelle le Kremlin veut enfermer la population russe a pour fonction d’établir une étanchéité face à ce qui est à l’œuvre en Ukraine. Combien de temps peut se maintenir le contrôle relatif des canaux d’information et de leur impact sur la population de Russie ?
Jeremy Morris, chercheur à l’université Aarhus au Danemark, qui couvre depuis longtemps la société dite post-soviétique, écrit le 7 mars : « Je caractérise la réponse des Russes [face à l’invasion de l’Ukraine] jusqu’à présent comme un mélange d’incrédulité face à l’ampleur et au caractère destructeur des actions russes et de refus de reconnaître que la Russie est l’agresseur. L’État russe a fermé la plupart des sources d’information alternatives facilement accessibles. Les personnes disposant d’un VPN [réseau privé virtuel] peuvent encore découvrir des choses, mais elles ne sont qu’une infime minorité. De nombreuses personnes ont peur, à juste titre, de parler de la guerre, et ce black-out accroît la sensibilité du public aux quelques informations officielles qui lui parviennent. »1
- 1. Open Democracy, 7 mars 2022.