Publié le Dimanche 7 février 2010 à 22h17.

Guinée – La voie de la transition reste encore bien incertaine

Depuis la fin de l’année 2008, le «Conseil national pour la démocratie et le développement» (CNDD), formé par des militaires gouverne la Guinée.

Ce groupe avait pris le pouvoir au lendemain de l’annonce officielle de la mort le 22 décembre 2008 de l’ancien président-dictateur Lansana Conté. Il avait initialement promis de «nettoyer le pays» de la corruption et des liens de son oligarchie avec des cartels internationaux de la drogue, avant de remettre rapidement le pouvoir à des civils. Des élections législatives puis présidentielles devaient être organisées selon un calendrier négocié par les militaires avec les «forces vives» – c’est-à-dire l’opposition civile rassemblant partis politiques, syndicats et ONG/associations – en mars, en octobre et en décembre 2009. Mais, au fil des mois, il est apparu de plus en plus nettement que le chef du gouvernement militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, s’accrochait au pouvoir, manifestant de plus en plus clairement son intention de se présenter à l’élection présidentielle prévue le 13 décembre 2009.

Le 28 septembre 2009, date anniversaire du référendum en 1958 où le peuple guinéen avait dit «Non» au projet de «Communauté française» de de Gaulle et quatre jours avant la fête de l’indépendance du 2 octobre, l’opposition civile organise un rassemblement pour demander au chef de la junte de ne pas se présenter aux élections. Egalement parmi les revendications la demande d’élections libres et non manipulées, sans participation des militaires. La réponse d’une partie de l’armée est un effroyable massacre. Un rapport officiel établi pour l’ONU a décompté 156 morts et au moins une centaine de viols commis en public sur la pelouse du stade. Les «forces vives», dont les principaux leaders ont échappé de justesse à la mort, demandent désormais une seule chose: le départ des militaires du pouvoir, en préalable à toute négociation.

Le 3 décembre 2009, un proche collaborateur de Dadis Camara, Aboubacar «Toumba» Diakité, lui tire plusieurs balles dans la tête. La motivation de cet acte résiderait dans le fait que, impliqué dans le commandement militaire lors du massacre du 28 septembre, Diakité aurait refusé d’en endosser la responsabilité principal tout seul alors que Dadis Camara cherchait à lui faire «porter le chapeau». Il prétend également avoir aidé des opposants à échapper au massacre, une version sujette à controverses. Aujourd’hui, toujours en cavale, malgré les nombreux points de contrôlé érigés dans la capitale, l’homme vivrait caché auprès de membres de sa famille, probablement à Conakry même.

Dans les heures qui suivent la tentative d’assassinat, Dadis Camara, est évacué à Rabat (Maroc) où il est hospitalisé pendant plusieurs semaines. A Conakry, c’est le général Sékouba Konaté qui prend la tête du CNDD. Pour certains observateurs il serait le représentant d’une aile «modérée». Quoi qu’il en soit, Konaté donne effectivement des gages à l’opposition civile pour recréer une certaine stabilité intérieure au pays. Il remet à l’ordre du jour des élections annoncées «dans les six mois à venir» ainsi que la formation d’un gouvernement «d’union nationale». Un-e représentant-e de l’opposition, que les «forces vives» obtiennent la possibilité de choisir, doit être nommé-e à sa tête. L’opposition civile se met d’accord sur deux noms: celui de Jean-Marie Doré, leader de l’Union pour la Guinée (UPG) et porte-parole de la coalition des forces vives, et celui de Rabiatou Diallo, la bouillonnante leader syndicale de la confédération CNTG. Le 18 janvier, le choix de Jean-Marie Doré comme Premier ministre «de transition» est acté. A l’heure où nous bouclons ce numéro, le gouvernement devait être en train d’être formé.

Entre-temps, Dadis Camara a débarqué de son exil temporaire marocain le 12 janviermais pour atterrir non pas à Conakry, mais à Ouagadougou puisque les négociations entre militaires et «forces vives» se sont déroulées depuis plusieurs mois dans la capitale burkinabè. La CEDEAO a en effet confié le rôle de médiateur au président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré, un fidèle pilier de la Françafrique. Beaucoup ont alors craint que Dadis Camara (que le général Konaté avait rencontré sur son lit d’hôpital à Rabat) allait remettre en cause tous les accords préalablement trouvés. Or, le 15 janvier, Dadis Camara co-signe avec le CNDD dirigé par le général Konaté et les «forces vives», un nouvel accord commun. Celui-ci prévoit que Dadis Camara restera en exil, «pour convalescence», et que la formation du gouvernement «d’union nationale» ainsi que le calendrier d’élections restent maintenus.

L’accord récemment trouvé à Ouagadougou a été obtenu pour deux raisons principales. D’un côté, l’armée semble bien trop fractionnée et les luttes parfois sanglantes entre «clans» – allant jusqu’aux tirs contre le chef de la junte en attestent –, pour pouvoir espérer se maintenir durablement au pouvoir dans son état actuel. De l’autre côté, les grandes puissances ont également exercé des pressions en faveur d’une «transition». Non seulement parce qu’elles préfèrent, au moins en théorie, un pouvoir pouvant se prévaloir de la «légitimité des urnes»; mais surtout, parce qu’elles ne croyaient pas Dadis Camara, personnellement très apprécié par certaines, dont la France, capable de conduire la Guinée vers la «stabilité» nécessaire pour poursuivre leurs intérêts.

Le proche avenir devra montrer si, en effet, une remise du pouvoir à des civils, suite à des élections – dont il faudra évaluer le caractère «propre» ou non –, aura lieu. Une transition vers un pouvoir civil, et qui garantirait des droits démocratiques à la population, aux syndicats, aux associations et autres acteurs de la société, n’en reste pas moins souhaitable. Il ne réglera néanmoins pas, tout seul, les problèmes criants du pays: l’extrême misère d’une bonne partie de la population et son exploitation par des intérêts économiques des grandes puissances. Et ça, ce sera aux mouvements sociaux futurs d’y donner des réponses.

Bertold de Ryon