Lors d’une cérémonie marquant le 10e anniversaire du séisme meurtrier de 2010, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a exhorté les HaïtienEs à « résoudre leurs différends par le dialogue et à résister à toute escalade qui pourrait inverser les acquis de la dernière décennie. » Mais de quels acquis parlait-il donc ?
Le 12 janvier 2010, un puissant tremblement de terre ravageait l’agglomération de Port-au-Prince. Les constructions en béton étaient souvent mal faites, avec du ciment de mauvaise qualité. Il y eut environ 250 000 mortEs (soit une personne sur dix), des centaines de milliers de blesséEs et de disparuEs. Depuis, les maisons fissurées ont été à peine réparées et les nouveaux logements construits comme avant le séisme, sans tenir compte des normes antisismiques.
Malversations
Depuis dix ans, Haïti vit au rythme des scandales. Scandale de l’aide internationale qui, devait, paraît-il « reconstruire Haïti ». Dans un premier temps, elle a permis de sauver des vies et de limiter la catastrophe. Mais la mise sous tutelle (de fait) d’Haïti au nom de la « reconstruction » a débouché sur un fiasco et a affaibli l’État haïtien. Ainsi, la reconstruction du principal hôpital public, confiée à une firme espagnole, est à l’arrêt depuis 7 mois. Selon l’ambassade de France, la maternité a été « réhabilitée » avec l’aide de Paris et de Washington ; pourtant les accouchements se font souvent à la lumière du téléphone des sages-femmes. Scandale des Casques bleus, qui ont introduit le choléra en Haïti et ont multiplié viols et abus sexuels. Scandale des puissances étrangères (dont la France) qui ont trafiqué les élections pour hisser à la tête de l’État, en 2011, le chanteur grivois Michel Martelly, qui leur avait fait allégeance.
Scandales à répétition pendant la présidence de Martelly qui, avec sa famille, s’est livré à la corruption, aux détournements de fonds et au trafic de cocaïne. Scandale du Fonds Petrocaribe, alimenté par des prêts accordés par le Venezuela sur la vente de pétrole. Parmi ceux qui ont dilapidé ce fonds se trouve Jovenel Moïse, devenu ensuite président de la République (en 2017). Trois entreprises ont pris part à ses malversations. Deux d’entre elles, possédant le même numéro fiscal, ont reçu l’une et l’autre des centaines de milliers de dollars pour faire le même travail. Pendant ce temps, les conditions de vie ou de survie ont empiré pour tout le monde, sauf pour une petite élite. Mais les scandales successifs ont mis à nu un système qui est devenu inacceptable pour de larges couches de la société.
Seul maître à bord
À partir de l’été 2018, la contestation est devenue générale. Émeutes, manifestations imposantes, barrages et barricades ont paralysé le pays à plusieurs reprises. Essayant depuis quelques années d’agir davantage en commun, des militantEs et des organisations de gauche parviennent à jouer un rôle non négligeable. Cependant, dans l’ensemble, ce sont des politiciens bourgeois (dont des criminels notoires) et des secteurs populistes qui donnent le « la » de la contestation. La plupart d’entre eux ne veulent que le départ du président Moïse et non pas des changements profonds. La population démunie n’est donc pour eux qu’une masse de manœuvre.
Jovenel Moïse n’a pas été lâché par les puissances étrangères et a sauvé son poste. Ne pouvant plus bénéficier de l’aide des Casques bleus (partis en 2017), il s’appuie sur des gangs armés, qui ont déjà commis plusieurs massacres. Se présentant en Mr Propre, il dit vouloir arracher l’État prédateur à des oligarques mais il ne vise, bien sûr, que ceux qui demandent son départ.
Le 22 décembre, il a annoncé que certaines personnes « risquent d’être victimes d’accidents si jamais [il] les retrouve au travers de son chemin. » Le mandat des députés et d’une partie des sénateurs a expiré le 12 janvier. Jovenel Moïse, qui n’a rien fait pour assurer la tenue d’élections, a publié un tweet dans lequel il dit constater « la caducité du Parlement ». Loin de le regretter, il parle d’une « opportunité historique. » Voilà qui est plus qu’inquiétant !