Publié le Jeudi 22 septembre 2022 à 15h00.

Histoire d’une quasi-grève : travailleurEs, syndicats et politique aux USA

Au début du mois, douze syndicats de cheminotEs étatsuniens représentant 150 000 travailleurEs qui transportent 40 % du fret longue distance du pays (pas de passagerEs) ont menacé de faire grève pour des raisons de salaires, de conditions de travail et de santé, Le 15 septembre, le président Biden a annoncé que le secrétaire au travail Marty Walsh, en collaboration avec les compagnies ferroviaires et les directions syndicales, était parvenu à un accord de principe. Au moment où nous écrivons, la grève semble peu probable.

«Ces travailleurs du rail obtiendront de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et une tranquillité d’esprit quant au coût de leurs soins de santé : tout cela est durement gagné », a déclaré Joe Biden en annonçant l’accord. « Je remercie les syndicats et les compagnies ferroviaires d’avoir négocié de bonne foi et d’être parvenus à un accord de principe qui permettra à notre système ferroviaire essentiel de continuer à fonctionner et d’éviter de perturber notre économie. »

Les cheminotEs prêts à débrayer

La gestion de cette affaire, qui découle de 150 ans d’expérience, est classique, bien que la précipitation de cette intervention politique soit unique. Les cheminotEs ont été poussés à menacer de cette grève par les pressions continues des employeurs pour une plus grande productivité, par l’insuffisance de jours de congé maladie et par la hausse des prix.

Aux États-Unis, où les chemins de fer sont privés et font des milliards de bénéfices, il y avait un million de cheminotEs en 1950, mais en raison de la restructuration, de l’automatisation et des pressions des directions, ce nombre a été réduit aujourd’hui à seulement 150 000.

« Notre travail est en train de se réduire à un nombre restreint de personnes travaillant plus et plus rapidement », a déclaré à un journaliste Ross Grooters, mécanicien de locomotive pour l’Union Pacific dans l’Iowa et co-président de Railroad Workers United. Les cheminotEs, comme de nombreux et nombreuses travailleurs américains, ont un contrat qui ne prévoit pas de jours de congé maladie. Et avec un taux d’inflation de 8,5 %, les travailleurEs estimaient également qu’ils devaient obtenir une augmentation de salaire, et si cela passait par une grève, ils et elles étaient prêts à débrayer.

Une grève quasi impossible

Le droit du travail étatsunien, cependant, rend une grève nationale des chemins de fer presque impossible. Cette loi a été mise en place en raison de l’impact dévastateur des grèves passées, toutes écrasées par la violence du gouvernement. La grève de 1877 des chemins de fer de Baltimore et de l’Ohio a entrainé d’importantes destructions et fait 100 victimes. La grève de Pullman en 1894, menée par Eugene V. Debs, a impliqué 250 000 travailleurEs et a coûté 40 vies, tandis que la grève des ouvrierEs du ferroviaire en 1922 a impliqué 250 000 travailleurEs et a coûté dix vies.

Déterminé à mettre fin aux grèves des chemins de fer, le Congrès américain a adopté en 1926 la loi sur le travail dans les chemins de fer (RLA), qui est toujours en vigueur aujourd’hui. La RLA visait à mettre fin aux grèves en forçant les employeurs et les syndicats à s’engager dans un processus long et fastidieux de médiation sous l’égide du National mediation Board. (Conseil national de lédiation) Lorsque les parties et le conseil parviennent à un accord de principe, commence alors une période de réflexion de 30 jours pendant laquelle ni les patrons ni les travailleurs ne peuvent prendre d’autres initiatives. La dernière grève nationale des chemins de fer a été menée par le syndicat des machinistes en 1992.

Des améliorations significatives

Les militants syndicaux se plaignent de ne pas savoir exactement ce que contient le nouveau contrat. « Il est impossible à l’heure actuelle de comprendre ce que signifie cet accord, et il est honteux de constater à quel point il est opaque », a déclaré Ron Kaminkow, membre de la Fraternité des mécaniciens de locomotives et des agents de train. Les travailleurEs ont apparemment obtenu une augmentation de salaire de 24 %, soit un salaire moyen de 110 000 dollars à la fin du contrat en 2024, ainsi que des primes de 5 000 dollars. Les travailleurs bénéficieront également de leur premier jour de congé de maladie payé et de jours supplémentaires de congé médical non payés, ainsi que d’une plus grande flexibilité dans les horaires.

Pour Joe Biden et les Démocrates, qui vont affronter les Républicains lors des élections de mi-mandat du 8 novembre, il était impératif d’éviter une grève qui aurait eu un impact important sur l’économie, en perturbant davantage les chaînes d’approvisionnement et en entrainant l’arrêt la production dans de nombreuses usines.

Les syndicats et les travailleurEs peuvent encore rejeter ce projet d’accord. Mais, grâce à la menace de faire grève, il contient certaines améliorations significatives et la pression exercée par les politiciens, les patrons et certains responsables syndicaux pour qu’il soit accepté sera énorme.