Publié le Dimanche 25 septembre 2011 à 22h54.

Hommage à Hoàng Don Tri

Hoàng Don Tri est mort jeudi 21 juillet 2011 à l’âge de 95 ans. Ingénieur de l’École centrale, mathématicien de haut niveau, il était devenu ingénieur de l’Aéronautique à la Sfena, où il fut un des réalisateurs du pilotage automatique et de l’atterrissage sans visibilité. Mais parallèlement à cette activité de technique scientifique, il fut tout au long de sa vie, un militant, dirigeant et théoricien trotskiste. Son frère aîné l’avait été avant lui, et il fut l’élève de Ta Thu Thàu (membre de l’Opposition de gauche internationale et fondateur du mouvement trotskiste vietnamien, qui ne survécut, à demi paralysé, aux années de la Guerre mondiale dans le terrible camp français de Poulo Condor que pour être fusillé sur l’ordre de Ho Chi Minh). Tri était déjà trotskiste quand il arriva pour faire ses études en France.

Pendant la Guerre, avec son ami d’études Claude Bernard (connu dans le mouvement trotskiste sous le pseudonyme de Raoul), il devint membre du CCI (Comité communiste internationaliste). Avec lui, il recruta un petit noyau d’étudiants vietnamiens, puis réussit à entrer en contact avec ses compatriotes travailleurs internés dans les camps où, ayant été recrutés de force au Vietnam pour venir remplacer les ouvriers mobilisés en France, la défaite les y avait fait jeter, dans des conditions de survie de bagnards. Tri écrivit un rapport sur leur situation, qu’il envoya à la Croix rouge à Genève. Mais il réussit en même temps à lier des contacts dans ces camps et à y faire entrer une propagande anticolonialiste trotskiste, et un journal en vietnamien titré La Lutte (comme celui, bilingue, de Ta Tu Thàu) qui gagna un grand nombre de ces prisonniers, en un temps où le Parti communiste, selon sa politique d’union sacrée patriotique, s’y limitait à l’antifascisme.

Ce travail politique lui permit de former, après la Libération, un groupe trotskiste vietnamien important et solide qui apporta un soutien critique à la longue guerre contre la France, puis contre les USA. En 1947, avec Marguerite Bonnet, sous les pseudonyme de Ahn-Van et Jacqueline Roussel, ils publièrent Mouvements nationaux et lutte de classes au Viet-Nam aux éditions de la IVe Internationale, petit livre qui mériterait réédition. Le groupe s’exprima en particulier par un journal, le Prolétaire, qui avait une version en France et une au Vietnam, et dont la diffusion fut importante. Mais le groupe de France survécut mal à la fin de la guerre. La victoire du Viêt Minh cachant la nature stalinienne du nouveau régime. La tentative de retour au pays se solda par la répression de tous ceux qui ne purent cacher leur trotskisme. Tri et ceux qui restèrent en France ne trouvèrent que tard un écho à la dénonciation de la bureaucratisation du Parti communiste vietnamien et à la dégénérescence que nous connaissons.

Bien qu’il avait souffert du racisme français, Tri aima la France de ses grandes traditions révolutionnaires et de sa haute culture, au point d’appartenir à une société de défense de notre langue et de la francophonie. À aucun moment il ne cessa la lutte pour la liberté de son pays et il réussit à faire passer au Vietnam des publications qui eurent un écho certain quoique limité. Il écrivait encore des textes de combat et d’histoire voici peu d’années et il doit laisser de nombreux écrits inédits, dont il faisait part, au fur et à mesure de leur rédaction, à l’auteur de ces lignes, son ami depuis les premiers mois de 1944.

Michel Lequenne