Les attentats de ce mois d’août à Barcelone et Cambrils obligent une fois encore à prendre la mesure du danger que représente, en Europe particulièrement, la nébuleuse djihadiste captée, instrumentalisée et mobilisée, avant, pendant ou après le passage à l’acte, par Daech. En recul sur le terrain militaire au Moyen-Orient, celui-ci tente de porter sa guerre au cœur de l’Occident, en vue d’y déclencher une profonde déstabilisation politique.
Le paradoxe tient au fait que la dimension politique de la situation créée se trouve brouillée par le rapport mortifère, certes inégal, mais étroitement combiné malgré l’opposition des « valeurs » mobilisées, qu’entretiennent entre eux les deux camps en présence. L’importation ici d’une version terroriste de l’islam, l’exportation « là-bas » de la politique guerrière du capital impérialiste, ont sur les consciences un croisement d’effets délétères, virant à la panique lorsque se produisent les attentats comme, au demeurant, les massacres de civils sur les « théâtres de guerre » si curieusement nommés…
Le lieu idéologique où se déploie ce croisement brouillé est la double question recoupant arrivée massive en Europe de migrant-e-s, fuyant, pour partie au moins, ces zones moyen-orientales de combat, et développement d’une islamophobie relevant certes d’une pluralité causale mais s’articulant spécifiquement et de façon opportuniste, plus en France au demeurant qu’en Catalogne Sud, à ces flux de migrations. Le tout fonctionne comme l’une de clés fondamentales de la stratégie capitaliste d’affaiblissement de l’unité du camp des exploité-e-s et des opprimé-e-s aux fins de résolution antipopulaire des déséquilibres économiques (« la crise ») induits par la mondialisation néolibérale.
La sidération produite dans les populations par l’horreur terroriste devient le terrain propice pour que les deux protagonistes en guerre tentent d’avancer leurs pions dans les consciences traumatisées, afin de les dépolitiser pour mieux les repolitiser à leur main : le djihadisme terroriste assume le paradoxe d’accroître délibérément l’islamophobie, exacerbée par une extrême droite ayant l’oreille d’une bonne partie du personnel politique traditionnel de la droite, donc en menant une politique du pire pour les musulman-e-s dans l’espoir simpliste, voire ubuesque, qu’ils et elles viennent à lui et se transforment en armée de conquête de l’Occident impie ; les Etats impérialistes jouent de l’effet repoussoir que les attentats démultiplient, pour à la fois légitimer à une échelle élargie leur interventionnisme « à l’extérieur » et s’assurer une légitimité « à l’intérieur » afin de mener des politiques antisociales et liberticides, contre ceux-là mêmes qu’ils se gagnent politiquement dans ce processus d’intoxication des esprits.
Devant une telle situation, faite d’entrelacs complexes où deux forces solidaires, malgré leur opposition, développent des orientations antipopulaires tout en travaillant à obtenir à leur profit le consensus des peuples, les anticapitalistes se retrouvent dans la position du tiers politique exclu. Confronté-e-s à l’injonction campiste du « si tu es contre eux/elles, tu es avec nous », méchant héritage, entre autres, d’une gauche ayant fait faillite, il leur faut assumer d’être à contre-courant mais en évitant d’en rajouter et, à cette fin, en tenant fermement les deux bouts de la problématique de la période.
D’un côté, une condamnation claire des attentats, de leurs auteurs et commanditaires ; pour ce qu’ils représentent d’intolérable atteinte à un élémentaire droit de vivre dans la pluralité des différences d’opinion et de croyance, mais aussi parce qu’ils contribuent, à l’unisson de leur ennemi capitaliste mondialisé, à la défaite des politiques d’auto-émancipation qui prônent qu’aucun peuple n’est l’ennemi d’un autre. De l’autre côté, une opposition tout aussi ferme à l’instrumentalisation qu’en font les Etats impérialistes au profit de leur politique austéritaire et liberticide, sur le mode de l’« union nationale », elle-même incluse dans la défense de l’Occident contre la barbarie… orientale, et avec la petite musique du « there is no alternative » thatchérien qui signe le maintien ou l’accentuation d’un rapport de forces toujours défavorable aux classes populaires.
Antoine Rabadan