Publié le Jeudi 12 décembre 2019 à 10h19.

Irak : malgré la répression, la mobilisation populaire se poursuit

Malgré l’annonce, le 29 novembre, de la démission du Premier ministre irakien Adel Abdel-Mahdi, la mobilisation populaire continue en Irak, avec de nouvelles manifestations de masse, la poursuite des occupations de lieux publics, notamment la place Tahrir à Bagdad, et des mouvements de grève. La répression se poursuit elle aussi, avec notamment un massacre commis dans la nuit du vendredi 6 au samedi 7 décembre. 

« Nous avons entendu et vu des mitrailleuses, au moins sept, installées sur des pick-up qui sont entrés dans la zone du pont et du garage de Sinak [lieu occupé à proximité de la place Tahrir à Bagdad]. Ils avaient déjà des hommes parmi la foule car, quand ça a commencé, ils sont arrivés depuis deux directions. » La description de la scène par un témoin interrogé par le Monde (8 décembre) est sans appel : l’attaque menée dans la nuit du 6 au 7 décembre, qui s’est soldée par la mort de 24 personnes, était organisée, préméditée, et destinée à terroriser les occupantEs de la place Tahrir et, plus généralement, les contestataires. 

Tahrir, épicentre de la contestation

Ce sont désormais au moins 445 personnes qui ont été tuées depuis le début du soulèvement irakien, et l’on dénombre pas moins de 20 000 blesséEs. Un bilan tragique, qui n’a toutefois pas fait rentrer les manifestantEs à la maison : le lendemain, ils étaient de nouveau des dizaines de milliers à converger vers la place Tahrir, devenue l’un des symboles de la contestation et de l’auto-­organisation du mouvement. 

Sur cette place, « il y a des zones avec de la nourriture gratuite, des casques gratuits, des endroits pour laver ses vêtements ou se laver soi-même. […] Il y a des tentes où sont représentées des régions spécifiques d’Irak, ou les retraités, ou des groupes professionnels, comme le syndicat des ingénieurs, etc. Ces tentes se réunissent entre elles et s’organisent. On discute quotidiennement de ce qu’il faut faire, mais aussi de questions de direction, de rédaction d’une nouvelle Constitution ou d’organisation de séminaires sur différents sujets politiques. »1

Des phénomènes qui en rappellent d’autres, notamment le précédent égyptien (et plus largement le « mouvement des places » inauguré en 2011), et qui témoignent de l’ancrage et du niveau d’organisation de la mobilisation, et participent de sa durabilité. Une mobilisation tournée, rappelons-le, contre l’extrême pauvreté, les inégalités, le chômage de masse, notamment dans la jeunesse, le manque d’accès à l’eau potable et à l’électricité, mais aussi les ingérences étrangères (de l’Iran, des États-Unis, de l’Arabie saoudite…).

« La chute du régime »

Des ingérences étrangères qui pourraient bien être derrière le massacre du garage de Sinak. C’est en tout cas ce qu’affirment de nombreux manifestantEs, qui voient la main de l’Iran et de ses (nombreuses) milices derrière cette opération meurtrière. Un Iran qui se prévaut de pouvoir faire la pluie et le beau temps en Irak et qui lui-même récemment en proie à des mobilisations d’ampleur à l’intérieur de ses frontières, qui ont donné lieu à une féroce répression (au moins 200 morts et 7 000 arrestations), ne peut tolérer de voir la population irakienne se soulever contre le système politique confessionnel en place dans le pays, et qui souffle sur les braises communautaires depuis le début de la mobilisation. 

Jusqu’à présent, le soulèvement irakien tient bon, et les manifestantEs continuent de revendiquer « la chute du régime », dans un pays gangréné par la corruption et le clientélisme, et traumatisé par le souvenir de la guerre civile qui a suivi le renversement de Saddam Hussein lors de l’intervention étatsuno-britannique de 2003 et l’occupation du pays. Une mobilisation portée par la jeunesse et les classes populaires, qui s’inscrit dans une vague mondiale de contestation des politiques néolibérales et autoritaires, du Chili au Liban en passant par Hong Kong et l’Algérie, et à laquelle nous continuerons d’apporter tout notre soutien.  

C.B.

  • 1. Sami Adnan, « We Do Not Want These Criminals to Rule Us », Jacobin, 23 novembre 2019.