Publié le Jeudi 23 février 2017 à 23h05.

Irak : Une offensive complexe de la coalition à Mossoul

Quatre mois après le début de l’offensive visant à reprendre la région de Mossoul à Daesh/« l’État islamique », le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a lancé dimanche 19 février l’opération finale visant à libérer la partie ouest de la grande ville.

Il s’agit évidemment d’un enjeu stratégique essentiel pour le fragile gouvernement irakien, mais aussi pour la coalition internationale dirigée par les États-Unis qui l’encadre. Mossoul est la deuxième ville irakienne (2 millions d’habitantEs). Elle a connu le « privilège » d’être proclamée en juin 2014 capitale du « califat » de Daesh, avec à cette occasion la seule apparition publique de son chef, le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. La bataille y est donc très dure, Daesh résistant de toutes ses forces.

La densité de population à l’ouest du Tigre y est aussi la plus élevée, dans la partie ancienne de la ville avec ses petites ruelles et 750 000 habitantEs (dont 350 000 enfants) fragilisés par le manque d’eau et de nourriture, mais aussi par la répression sanglante menée par Daesh. Il y a eu plusieurs actions internes de résistance contre les forces djihadistes dans la ville, vite stoppées par l’ampleur de la punition contre ces actes : selon des habitants, pour chacun de ses membres tués, Daesh a arrêté 40 jeunes et les a ­exécutés sur place.

Coalition et pouvoir irakien

Cette offensive présente de nombreuses difficultés pour la coalition qui la mène. Elle ne peut se permettre d’être aussi féroce envers les civils que celle du régime syrien et de ses alliés contre Alep et les autres villes syriennes : à la différence de la Syrie, elle combat ici vraiment Daesh et non une insurrection populaire. La coalition doit aussi tenir compte un minimum de l’opinion publique internationale, et dans l’immédiat, elle est confrontée aux alertes pressantes d’organisations humanitaires qui voient venir une situation d’abandon catastrophique de centaines de milliers de civils.

De son côté, du fait de sa faiblesse au Parlement, le Premier ministre irakien Abadi et son gouvernement ont un besoin absolu de victoires militaires afin de restaurer un fort crédit populaire pour rassembler les différentes composantes de la population. Il ne dispose de manière sûre que de 20 à 30 parlementaires (sur 328 !), face à son frère ennemi l’ancien Premier ministre al-Maliki, qui lui a choisi la confrontation contre les alliés kurdes et arabes sunnites, suivant la ligne du gouvernement iranien fondée sur une agitation confessionnaliste. Or Mossoul est composé de multiples ethnies et religions : il s’agit donc d’une des dernières opportunités de conserver l’Irak comme pays de cohabitation.

Sur le terrain du rapport de forces

Se résignant à aller lentement, Abadi privilégie l’envoi au front des unités du CTS (Service de contre-terrorisme), dont le chef a refusé qu’il soit bâti à l’image de l’État irakien sur des quotas confessionnels ou ethniques. Cette force a montré son efficacité militaire contre Daesh, en même temps que sa capacité à établir de bonnes relations avec les populations des zones libérées. Cela au contraire d’autres unités militaires et milices responsables d’exactions récemment dénoncées, comme la force « Mobilisation populaire » constituée à l’appel de l’autorité religieuse chiite Ali al-Sistani, mais dont la plupart des unités ne suivent pas les recommandations de bonnes relations avec la population sunnite.

À côté de ces unités, il y a des forces de « mobilisation tribale » sunnites et les peshmergas kurdes barzanistes. Et le tout compte sur l’aviation de la coalition internationale dirigée par les États-Unis. Ceux-ci cherchent, sans y arriver, à éviter les bavures militaires ou diplomatiques, comme la récente déclaration de Trump regrettant que les USA n’aient pas obtenu plus de pétrole irakien en compensation de l’engagement militaire étatsunien...

Le calme après la tempête ?

Jusqu’ici, Abadi a réussi à séparer les composantes inflammables des forces anti-Daesh, laissant la plupart des forces des « Mobilisations populaires » loin de Mossoul, négociant avec les peshmergas kurdes qui ont lutté pour la première fois côte-à-côte avec l’armée irakienne... Ce qui ne les pas empêché de recevoir des obus d’artillerie tirés par des « milices indisciplinées » !

Mais le retour au calme en Irak est encore loin. La reprise de Mossoul peut déraper à tout moment. Il reste des territoires à l’ouest de la ville jusqu’à la frontière avec la Syrie contrôlées par Daesh. Il y a aussi les forces du PKK auxquelles les USA interdisent d’entrer dans la ville de Sinjar, et considérées comme une organisation terroriste en Irak, mais amie en Syrie. Et il y a le discrédit du système politique irakien avec sa corruption et ses tensions confessionnalistes.

Pour notre part, nous maintenons notre opposition aux bombardements sur les zones habitées comme aux guerres substituant les logiques impérialistes et dictatoriales aux luttes des peuples, bombardements et guerres qui au Moyen-Orient n’ont fait que favoriser les obscurantismes depuis tant d’années.

Karim Saïd et Jacques Babel