Le 22 mars dernier, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von den Leyen, semblaient être enfin parvenus à un compromis viable avec le « cadre de Windsor » devant se substituer au « protocole nord-irlandais ».
Ce « cadre » doit permettre la simplification administrative de l’activité commerciale, notamment en distinguant les produits arrivant en Irlande du Nord et ayant vocation à y rester, et ceux destinés à être exportés vers l’Union européenne (UE). D’autre part, un mécanisme est censé corriger le « déficit démocratique » de l’arrangement existant : le « frein de Stormont » (nom du parlement nord-irlandais) qui offrira à l’Assemblée d’Irlande du Nord la possibilité de modifier les règles de l’UE qui s’appliquent encore à la province.
Statut hybride de la province entre Royaume-Uni et UE
Non seulement la procédure promet d’être pour le moins complexe, mais elle prolonge finalement le statut hybride de la province, entre Royaume-Uni et UE, tout en laissant le dernier mot aux maîtres historiques, à Londres. Dans ces conditions, l’unionisme politique (DUP, TUV) ne se réconcilie pas plus avec le « cadre » et le « frein » qu’avec le « protocole » et le DUP a fait savoir qu’il maintenait son refus de participer au système de partage du pouvoir dans la province.
Pendant ce temps, et à un autre niveau, les possibilités créées par le flottement constitutionnel issu du Brexit n’échappent pas à tout un ensemble de composantes sociales et politiques de la société irlandaise du nord qui y voit l’occasion de construire un consensus large autour du projet de réunification (évoqué sous les euphémismes de « référendum sur la frontière », ou de « nouveaux arrangements constitutionnels »). La convergence suscitée par l’initiative Ireland’s Future, lancé en 2019, en donne une bonne illustration en permettant la rencontre entre aspirations nationalistes (principalement liées au Sinn Fein) et un unionisme civique disponible pour l’intégration d’une identité protestante dans une Irlande réunifiée et affranchie des sectarismes communautaires de temps de guerre.
Débat sur la réunification
Confusion constitutionnelle, dimension transcommunautaire de la question de l’UE, émergence du Sinn Fein comme principale force politique dans toute l’Irlande depuis 2021-2022, sentiment d’abandon de l’unionisme politique par le pouvoir londonien... La conjoncture politique récente a conféré une actualité sans précédent au débat sur la réunification. Deux autres déterminants majeurs, démographiques et sociaux, sont à prendre en considération cependant. Depuis 2021, et pour la première fois, la population catholique est majoritaire (et la part des personnes « sans religion » est passée de 10,1 % en 2011 à 17,4 % en 2021). Les migrations des vingt dernières années, de l’Est de l’UE, puis plus récemment, du Sud-Est asiatique, ont contribué au développement de minorités et dès lors d’une diversité nouvelle.
Ensuite, l’IN n’est plus la province industrielle riche et protestante du 20e siècle : région la plus pauvre du RU, l’économie de la république fait maintenant six fois sa taille. Le projet de l’intégration des deux entités se pose donc à partir de questions concrètes et urgentes de logement, de services de santé, d’offre éducative, de revenu, sur fond de certitude toujours plus grande du désintérêt de Londres.
En contrepoint du jeu institutionnel RU-UE, d’autres dynamiques et aspirations gagnent donc en clarté et en force. Restera à savoir de quelle réunification il pourrait s’agir, avec quel degré d’émancipation vis-à-vis des tutelles politiques anciennes et nouvelles. Et au bout du compte, pour quoi faire ? La prédation économique, la violence de l’inégalité ou la crise du logement sont aussi destructrices dans la verte Irlande qu’ailleurs, et la confrontation aux données constitutives du capitalisme contemporain n’y sera assurément pas moins âpre que la lutte autour des questions constitutionnelles de l’heure.