Lors des élections à l’Assemblée d’Irlande du Nord du 5 mai, le Sinn Féin est arrivé en tête du scrutin en remportant 27 sièges, contre 25 pour le Parti unioniste démocratique (DUP). En vertu de l’accord de partage du pouvoir du Vendredi Saint de 1998, ce résultat donne au Sinn Féin le poste de Premier ministre (First Minister) et au DUP celui de vice-Premier ministre (Deputy First Minister).
Le lundi 9 mai, le DUP a toutefois annoncé qu’il ne nommerait aucun ministre, bloquant ainsi la formation d’une nouvelle administration. Le DUP exige une renégociation du protocole du Brexit, qui place de fait une barrière douanière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni.
Crise de l’unionisme
La victoire du Sinn Féin revêt une importance historique car c’est la première fois qu’un parti politique nationaliste arrive en tête du scrutin depuis la création de l’Irlande du Nord, il y a un siècle, sur la base de sa majorité unioniste et protestante. Bien qu’il n’y ait aucune différence juridique entre les pouvoirs du Premier ministre et ceux du vice-Premier ministre, le symbolisme de l’inversion des rôles est significatif et constitue un choc pour le camp unioniste.
L’establishment politique unioniste est en crise profonde et ce résultat marque une nouvelle étape dans la crise. Le soutien enthousiaste du DUP au Brexit lui a fait perdre le soutien de deux secteurs de sa base traditionnelle. D’abord les partisans de la ligne dure qui lui reprochent le protocole du Brexit qui le sépare du reste du Royaume-Uni en le maintenant dans le marché commun de l’UE. Le DUP a perdu ces électeurs au profit du parti dissident Traditional Unionist Voice (TUV) – bien qu’il ait regagné un certain soutien vers la fin, lorsque l’attention s’est concentrée sur la question de savoir qui serait Premier ministre.
L’aile modérée, qui ne voulait pas quitter l’UE, a voté pour l’Alliance, un parti intercommunautaire et pro-UE. La croissance du soutien à ce parti a également été significative, passant de 8 à 17 sièges, soit 13,5 %. Cette évolution présente deux aspects. Un nombre croissant d’électeurEs, tant catholiques que protestants, plus jeunes, des couches sociales moyennes, rejettent la division entre deux camps et se tournent vers un parti considéré comme progressiste sur les questions sociales. Mais le non-sectarisme d’Alliance est une sorte de « peste sur vos deux maisons », sans reconnaissance du caractère sectaire historique de l’État du Nord.
Vers une Irlande réunifiée ?
Les Verts ont perdu leurs deux sièges. La gauche radicale, People Before Profit, qui rejette la classification de nationaliste ou unioniste pour se dire socialiste, a quant à elle gardé son unique siège à Belfast.
La campagne du Sinn Féin s’est concentrée sur le coût de la vie plutôt que de souligner son engagement envers l’objectif d’une Irlande unie. Il n’a pas progressé de manière significative en nombre de voix, gardant le même nombre de sièges que lors de l’élection précédente, tandis que le DUP a perdu trois sièges. Le parti nationaliste plus modéré, le SDLP, a perdu des sièges – certainEs électeurEs se sont tournés vers le Sinn Féin pour augmenter les chances d’avoir un First Minister nationaliste, tandis que d’autres se sont tournés vers l’Alliance.
Le résultat constitue un moment historique, avec le Sinn Féin en position d’être First Minister de l’État artificiel créé pour garder le plus possible des protestantEs au sein du Royaume-Uni. Même si Sinn Féin pourrait également devenir, en République d’Irlande, un parti de gouvernement, cela ne veut pas dire que l’Irlande réunifiée est en perspective à court terme. Mais elle est à l’horizon.