Il y a 20 ans, quand les négociations officielles entre unionistes et nationalistes se sont conclues en avril 1998 par la signature du « Good Friday agreement » symboliquement signé le jour du déclenchement de la révolte de Pâques 1916 contre la puissance occupante, l’accord a été salué comme un tournant dans le conflit qui dure depuis 29 ans au nord de l’Irlande.
Deux de ses signataires, David Trimble pour le UUP (Parti unioniste de l’Ulster) et John Hume pour le SDLP (Parti social-démocrate) vont d’ailleurs recevoir le prix Nobel de la paix. Gerry Adams, président du Sinn Fein, sans qui l’accord n’aurait jamais vu le jour, en étant écarté pour cause de liens avec l’IRA.
Une décennie de discussions
Gerry Adams avait pourtant, dès la fin des années 1980, entamé des discussions (secrètes) avec John Hume, révélées en 1992 par une déclaration commune. Elle affirmait la volonté de sortir d’une guerre rampante qui avait causé des milliers de morts et d’emprisonnements depuis 1969, ainsi qu’une grève de la faim historique en 1981, dont Bobby Sands, pourtant élu au Parlement britannique pendant sa grève, fut le premier martyr.
Un premier cessez-le-feu de l’IRA, en 1994, ne débouchera sur aucun progrès dans les négociations avec Londres, le gouvernement du conservateur John Hume dépendant des unionistes d’Irlande du Nord pour conserver sa majorité à la chambre des Communes.
L’IRA va alors faire exploser un immeuble de bureaux de Canary Wharf, le nouveau quartier des affaires de Londres, en avril 1996. Un « rappel » qui sera entendu : les négociations reprennent très vite et aboutissent en avril 1998 à la signature du Good Friday agreement.
Situation bloquée
Cet accord prévoyait la libération de tous les prisonniers politiques, un gouvernement régional autonome, Stormont, la mise en place de structures transfrontalières et la disparition de fait de la frontière lourdement militarisée entre le Nord et la République d’Irlande. Il soulevait de grands espoirs parmi la population nationaliste : Gerry Adams avait promis, lors d’un discours à l’occasion de la commémoration de 1916, que « l’Irlande serait réunifiée en 2016 ».
Le retour au pouvoir des Conservateurs et le Brexit vont complètement changer la donne. La situation était déjà très tendue entre les deux partis majoritaires à Stormont, le DUP (Parti démocratique d’Ulster) formation unioniste d’extrême droite liée aux paramilitaires loyalistes qui a évincé l’UUP, et Sinn Fein, qui a marginalisé le SDLP. Stormont est suspendu depuis plusieurs mois et les six comtés du Nord sont pratiquement de nouveau sous le régime de la « direct rule » de Londres.
Brexit et frontière
La question de la frontière est un sujet extrêmement sensible pour la population du Nord, toutes tendances confondues. Depuis les accords, une circulation intense des personnes et des biens est devenue la règle. De nombreuses entreprises de la République (Sud), sociétés de service et autres se sont installées au Nord, les routes de communication qui reliaient les villages de chaque côté de la frontière, coupées par de profonds fossés depuis 30 ans, ont été rétablies.
Le Brexit remet tout en cause : la Grande-Bretagne quittant l’Union européenne, la frontière devra être remise en place. Et pas une frontière « soft » comme le prétend Theresa May. La circulation des marchandises sera soumise aux droits de douane et les personnes contrôlées par l’immigration, ce qui implique le retour d’une véritable frontière.
Polarisation nationaliste
L’austérité et le chômage frappent durement l’Irlande du Nord depuis la fermeture des grandes structures industrielles comme les chantiers navals de Belfast, qui employaient des milliers de travailleurEs (protestants à 90 %), et la reconversion peine à se faire. La crise du logement, déjà aiguë, va sans doute s’aggraver avec les nouvelles coupes budgétaires annoncées par Theresa May. Quant au système de santé, il est au bord du naufrage. Une récente enquête montre que 60 % de la population en Irlande du Nord a moins de 100 British Pounds (115 euros) sur son livret d’épargne…
Malgré ce contexte économique très détérioré, le chômage et l’effondrement de l'État-providence, les organisations d’extrême gauche comme People Before Profit (issue du Socialist Workers Party) peinent à se faire entendre. Avec 1,8 % des voix aux dernières élections en 2017, elle a perdu un de ses deux sièges, la polarisation autour de la question nationale restant le facteur dominant dans le choix des électeurEs.
Mireille Court