En Italie, les résultats des élections européennes sont dans l’ensemble très mauvais : ils confirment le renforcement de la droite réactionnaire, expression de la désagrégation et de la démoralisation sociale qui touche de larges secteurs populaires. Cela renvoie aux dynamiques européennes en général et cela met en lumière le caractère négatif de la situation sociale et politique italienne.
La participation est en baisse par rapport aux dernières élections européennes : elle passe de 58,69 % à 56,29 %, et cette baisse touche toutes les régions du pays. La Ligue de Salvini obtient 34,33 % des voix, soit 9 153 368 voix, ce qui est une augmentation de l’adhésion tant par rapport aux europénnes de 2014 qu’aux élections générales italiennes de 2018. Pour la première fois, elle obtient beaucoup de voix au Sud du pays où elle atteint 23 %.
Le seul autre parti dont le nombre de voix augmente, c’est Fratelli d’Italia, un parti de droite, héritier du Mouvement social fasciste, qui gagne environ 700 000 voix, avec un score de 6,46 % (en 2014, il était à 3,67 %).
Le Parti démocrate arrive en deuxième positon avec 22,74 % des voix mais, par rapport à 2014, il perd 6 028 000 voix, et il en perd 121 000 par rapport aux élections politiques de 2018. C’est dans le centre et le nord du pays qu’il fait ses meilleurs scores, en particulier dans les grandes villes.
Le Mouvement 5 étoiles (M5S), avec 17,06 %, est le grand perdant de ces élections : il perd 1 252 000 voix par rapport aux européennes de 2014 et 6 189 000 voix par rapport aux élections de 2018, à l’issue desquelles il était devenu le premier parti italien, devançant, et de loin, tous les autres.
Forza Italia, le parti fondé par le chef d’entreprise Silvio Berlusconi, recule lui aussi (8,78 %), alors que les Verts ne percent pas, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les autres pays européens : ils restent à 2,29 %.
Il faut enfin signaler la défaite de la liste « La Sinistra », née de l’accord entre Sinistra Italiana, Rifondazione Communista, Altra Europa avec Tsipras et d’autres : elle obtient à peine 465 000 voix (1,74 %).
La Ligue, premier parti en Italie
Ces résultats montrent clairement que la Ligue, dirigée par Matteo Salvini, devient le premier parti. Les manifestations antiracistes, écologistes et féministes de ces derniers mois, et les perturbations de ses rassemblements n’ont pas réussi à freiner sa poussée électorale. Cette victoire est aussi le fruit de la propagande xénophobe et violente du dirigeant de la Ligue, qui a parlé directement et démagogiquement aux tripes des personnes les plus touchées par la crise économique et de celles que le spectre de la pauvreté effraie le plus. C’est la Ligue qui tient aujourd’hui les rênes du gouvernement italien, et qui peut en dicter l’agenda politique. Elle va pouvoir mener à bien avec plus de force, n’en doutons pas, les projets qui lui tiennent le plus à cœur (flat tax, prochain redécoupage régional, déréglementation administrative pour les petites et moyennes entreprises) en augmentant le niveau de la répression et en accentuant la fragmentation, déjà importante, de la classe travailleuse.
Le M5S se trouve dans une position d’extrême faiblesse : il a d’abord été le double parfait de la Ligue, puis il a essayé de donner un coup de barre à gauche, en faisant principalement campagne contre son allié au gouvernement. Opposition fictive car, pendant que les deux forces gouvernementales associées s’affrontaient dans les médias, au gouvernement même, elles approuvaient ensemble toutes les mesures, sans se démarquer l’une de l’autre.
Le Parti démocrate, malgré les voix qu’il a perdues, réussit à donner l’impression d’être l’un des vainqueurs de ces élections parce qu’il a bénéficié de la polarisation amorcée par Salvini et qu’il a tiré parti du vote utile pour contenir la montée des droites en Europe.
Reconstruire un projet anticapitaliste
Ce qui devient très visible en Italie aussi, comme dans le reste de l’Europe, c’est la marginalité de la gauche antilibérale et anticapitaliste qui n’a pas les forces pour construire un projet crédible qui soit alternatif à la droite, au Parti démocrate et au M5S.
Le terrain de cette défaite électorale a été préparé pendant toutes ces dernières années : les listes de la gauche naissent dans l’urgence du moment électoral, elles sont le fruit d’un accord de sommet, elles ont toujours de moins en moins d’enracinement social et manquent donc de crédibilité. Sinistra anticapitalista avait choisi de donner une consigne de vote pour « La Sinistra », afin de préserver un espace à gauche, dont la disparition met en difficulté la gauche tout entière.
Il faut au contraire repartir prioritairement de l’unité des mobilisations sociales de classe et de l’opposition stratégique qui permette la reconstruction, y compris idéologique, d’une alternative au système capitaliste. Même si le travail de reconstruction d’un projet anticapitaliste et internationaliste à partir des résistances aux droites, aux fascistes et au libéralisme capitaliste sera inévitablement long, ardu et complexe, cela vaut la peine de s’engager à fond.
Chiara Carratù, traduction Bernard Chamayou