Comme d’habitude, dès qu’ils ne peuvent plus faire tourner en boucle les images de destructions et d’affrontements, les médias dominants font disparaître de l’actualité les mobilisations qui continuent. Et la violence de la répression que le gouvernement déchaine est invisibilisée, laissant place aux seuls discours de « restauration de l’ordre et du calme ».
La levée le 28 mai de l’état d’urgence — mais pas du couvre-feu et des mesures d’assignation à résidence ni des poursuites judiciaires contre les « indépendantistes » — c’est toujours le « en-même-temps » macronien. S’il y a un recul politique, avec engagement de ne « pas passer en force », c’est qu’à moins de deux mois de l’ouverture des JO, les images de la violence coloniale sont contradictoires avec les discours lénifiants sur la France terre d’accueil et de progrès, les JO parenthèse de paix dans les conflits… Macron ne veut pas voir parasiter « son moment » par des images et des interpellations qui annihilent tous ses discours.
Répression et silence du gouvernement
Pourtant, sur place il n’y a pas de retour à la situation d’avant le 14 mai, jour du vote de cette loi de « recolonisation ». La mobilisation de la population qui exige un engagement simple — le retrait de la loi sur le dégel — continue, et en face la brutalité de la répression officielle des forces policières et judiciaires et extra-légale des milices « blanches » assurées de l’impunité aussi. Depuis le 28 mai, le gouvernement réaffirme le retour au calme. Ce qui correspond à l’arrêt des attaques contre des magasins, des entrepôts ou des bâtiments publics. En revanche, la levée des barrages, seulement ceux tenus par les Kanak et leurs alliés, pas ceux des « milices », ne se fait que par l’intervention des forces de l’ordre. Dès qu’elles se retirent, des barrages sont remis en place. Le bilan du FLNKS est clair. Dans un communiqué du 31 mai, adressé aux trois membres de la mission de médiation mise en place par Macron, le Bureau politique du FLNKS élargi aux « partis dits nationalistes et progressistes » et à la CCAT, « demande à ce que le président de la République soit explicite et en affirmant clairement qu’il ne convoquera pas le congrès de Versailles et abandonne, par conséquent, cette réforme institutionnelle ». Demande qui reste lettre morte.
Justice et prisons débordées
Pendant ce temps, la machine judiciaire s’emballe. Le 1er juin le haut-commissaire à Nouméa (titre du représentant de l’État français) a annoncé 725 interpellations depuis le 14 mai. Le Camp-Est « affiche des taux de surpopulation en moyenne de 150 % », rappelle à Mediapart un magistrat du tribunal de Nouméa. « Mais depuis le début des affrontements, on atteint près de 220 %. Les détenus sont quatre, cinq, voire six par cellule prévue normalement pour deux. Et les droits de promenade ont été réduits. Ce sont des conditions absolument inhumaines. »
Et les magistrats qui siègent quotidiennement en audience de comparution immédiate (au lieu de deux fois par semaine, appliquent avec zèle les consignes de Dupond-Moretti leur enjoignant de « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ». Deux jeunes indépendantistes kanak de 21 et 24 ans sont condamnés à six mois de prison, avec mandat de dépôt, pour avoir jeté respectivement une bouteille et un caillou en direction des blindés de la gendarmerie1. Un dirigeant de la CCAT est sous le coup d’un mandat de dépôt jusqu’à son procès en août sous prétexte de non-respect de la mesure de contrôle judiciaire ! Des transferts de prisonniers ont été organisés vers la nouvelle prison du Nord, mais probablement aussi vers le territoire français. Pendant ce temps, les milices blanches n’ont pas été désarmées et continuent des incursions punitives dans les quartiers populaires.
Nous voulons la libération des prisonniers
Alors la solidarité est urgente ! Par le relais des revendications des organisations politiques et syndicales de Kanaky d’abandon de la loi et de reprise, sous l’égide d’une mission indépendante, des discussions autour du processus de décolonisation. La libération des prisonniers politiques kanak et les poursuites judiciaires contre les meurtriers des manifestantEs. Et en attendant cette libération, l’organisation de la solidarité avec les emprisonnéEs, solidarité financière, matérielle, juridique qui passe par des réunions et fêtes de soutien.
- 1. Gilles Caprais, « Six mois de prison pour un jet de bouteille : en Nouvelle-Calédonie, la répression des révoltes est en marche », Mediapart, 30 mai.