Publié le Mercredi 19 janvier 2022 à 10h47.

Kazakhstan : l’ordre règne à Almaty ?

Le calme serait revenu au Kazakhstan. Les habitantEs de la capitale secouée par les scènes d’émeutes de la semaine passée — en particulier l’assaut du siège principal du gouvernement et de l’aéroport d’Almaty — tenteraient de retrouver une vie normale. Les contingents militaires russes appelés à la rescousse seraient sur le chemin du départ. Une page tournée ? Rien n’est moins sûr.

Ces jours sanglants de janvier ont fait plus de 200 morts, d’innombrables blessés et disparus, 10 000 à 12 000 emprisonnés et torturés. Le pouvoir réprime mais les racines de la colère demeurent : misère du côté des exploitéEs, luxe insolent et corruption du côté des cliques possédantes locales, silence du côté des tondeurs de coupons internationaux, sur fond de chômage et d’inflation galopante. Un premier affrontement de classe de l’année 2022 qui exprime les tares de la société capitaliste… et les révoltes qui s’annoncent.

Le président Kassym-Jomart Tokaïev est satisfait

Kassym-Jomart Tokaïev tient une version des événements qui le blanchit. Les émeutes auraient été le fait de bandes terroristes armées par l’étranger (d’Afghanistan, des pays d’Asie centrale ou du Moyen-Orient) et/ou par le clan de l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev (qui a dû laisser la place il y a deux ans, après trente ans de règne). Des membres des forces de sécurité à sa solde n’auraient-elles pas tenté un coup d’État ? Au service de membres de la famille — filles et fils bien placés parmi les oligarques capitalistes qui ont profité des vagues de privatisation des années 1990. Une partie de cette élite dorée s’est prudemment envolée pour Moscou ou Dubaï.

Coup d’État ou sales coups de l’État ?

On ne doute pas que Nazarbaïev ait eu les moyens de recruter des gangs anti-ouvriers. La thèse d’un Tokaïev en butte à la vindicte de son ex-mentor reste pourtant à prendre avec des pincettes. Depuis 1991, le régime « présidentiel » du Kazakhstan n’a connu que deux présidents : Nazarbaïev et Tokaïev, le second intronisé par le premier — droits humains et droits syndicaux n’ayant été la tasse de thé ni de l’un ni de l’autre. C’est Tokaïev en personne qui a récemment, face aux manifestations populaires, donné l’ordre de « tirer pour tuer » et présenté les insurgéEs comme des « terroristes ». Réaction type de dictateurs qui voient leur trône ébranlé. En la circonstance dans un pays aux traditions de luttes de classe dures. En 2012, des mois de grèves, auxquelles ont participé des dizaines de milliers d’ouvriers, ont marqué la zone d’exploitation pétrolière du pays, à l’ouest près de la mer Caspienne.

Les routes du profit

Le Kazakhstan est situé sur ces « nouvelles routes de la soie » grâce auxquelles la Chine cherche à étendre son réseau de voies commerciales et « tubes ». Ses intérêts sont concernés, comme ceux de la Russie ou de la Turquie. Mais pas seulement. Un tiers des exportations du Kazakhstan — dont le pétrole et les minerais — transitent vers l’ouest. Le pays est un eldorado pour les investisseurs et actionnaires de majors pétrolières américaines, de multinationales françaises (dont Total et Areva) et allemandes (dont Siemens-Energy ou Heidelberg-Cement). Tous s’en mettent plein les poches pendant que l’élite politique kazakhe bâillonne la classe ouvrière. Récemment encore, Bruno Le Maire et Angela Merkel étaient invités chez Nazarbaïev ou l’ont reçu. On lui vend des armes1. On critique donc la répression mais du bout des lèvres. Chaque parole est pesée à l’aune des intérêts économiques nationaux. Le 8 janvier, l’Allemagne a certes fait part de sa décision, « au vu de la situation », d’arrêter ses exportations de matériels militaires vers le Kazakhstan. Paroles… mais qu’on n’a même pas entendues de la bouche d’un Le Drian.

Alors vivent la lutte et la résistance des révoltés du Kazakhstan.

  • 1. Sur le site spécialisé dans l’actualité militaire opex360.com, on peut ainsi lire l’information suivante (10 janvier 2022) : « En septembre dernier, Noursoultan [ex-Astana] avait officialisé la commande de deux avions militaires de transport A400M auprès d’Airbus, afin de compléter sa flotte de neuf C-295, également acquis auprès du groupe européen. "L’A400M deviendra la pierre angulaire des opérations de transport aérien tactique et stratégique du Kazakhstan", s’était alors réjoui Michael Schoellhorn, le Pdg d’Airbus Defence and Space [ADS]. »