Publié le Dimanche 26 avril 2015 à 07h28.

“La France, le seul pays d’Europe à interdire les manifestations de soutien  à la Palestine”

Entretien. En juillet 2014, alors que Gaza subissait de terribles bombardements de l’État d’Israël, des manifestations unitaires de solidarité avec le peuple palestinien étaient organisées à Paris. Membre de la direction du NPA et militant de longue date de la solidarité avec la Palestine, Alain Pojolat est alors mandaté pour déposer en préfecture le parcours de deux de ces manifestations : l’une à Barbès le samedi 19 juillet, l’autre place de la République le samedi 26 juillet. Interdites par la préfecture, ces deux manifestations seront toutefois maintenues par plusieurs organisations.

Alain Pojolat sera poursuivi et un premier procès a lieu en octobre 2014. Une large mobilisation a accompagné ce procès qui a vu le tribunal prononcer la relaxe. Mais le parquet a décidé malgré tout de faire appel. Un nouveau procès a donc eu lieu, et ce vendredi 10 avril, le verdict fut le même : la relaxe. Pour en parler, nous avons rencontré son avocat, Jean-Louis Chalanset, qui nous a aussi parlé du contexte politique dans lequel tout cela a eu lieu.

Peut-on revenir sur les raisons pour lesquelles Alain Pojolat était poursuivi ?

Il était poursuivi pour organisation de manifestation interdite... Ce qui est contraire à la réalité : c’est bien lui la personne physique qui avait fait les demandes d’autorisation des parcours des deux manifestations, mais lorsqu’on lui a notifié l’interdiction de celles-ci, ce sont les organisations qui ont maintenu ces manifestations, et non pas lui en tant que personne. Si ils avaient vraiment voulu poursuivre quelqu’un, il fallait qu’ils poursuivent les organisations politiques, ce qu’ils n’avaient pas le courage de faire.

Je pense de façon certaine que le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre ont décidé de poursuivre Alain Pojolat, qui avait déjà été condamné pour des faits un peu similaires quelques mois auparavant : il avait organisé une manifestation sans autorisation en soutien à Georges Ibrahim Abdallah. Il a été condamné alors que c’était un collectif qui organisait le rassemblement, ce qui est rarissime. Il y a beaucoup de manifestations qui se font sans organisation ni déclaration, et il n’y a pas de poursuites...

Pour ce qui concerne les manifestations Palestine de l’été 2014, ils ont voulu s’acharner sur lui en le poursuivant. C’est vrai que sur le plan juridique, même si le parquet avait demandé devant le tribunal sa condamnation, il n’y avait pas beaucoup d’éléments, dans la mesure où ce sont les organisations qui avaient appelé à maintenir la manifestation. Il y a eu aussi d’autres procès. Par exemple, celui de trois militants qui avaient appelé à l’une des deux manifestations interdites en distribuant un tract le samedi midi. Eux aussi ont été relaxés.

C’est vraiment du juridisme employé à mauvais escient par le parquet pour tenter de poursuivre un militant. Ce verdict est un succès dans la mesure où la justice, confirmée par la cour d’appel, n’a pas voulu répondre à la célérité du gouvernement sur ce point.

Lors du premier procès, vous sembliez dire que le dossier était vide. Pourquoi le parquet a décidé de faire appel ?

Vous savez, les magistrats ne sont pas toujours d’une indépendance extrême... Mais c’est vrai que dans le cas présent, je ne voyais pas comment on pouvais faire un procès à quelqu’un qui avait fait une demande d’autorisation... mais qui n’était pas présent à cette manifestation. Alain avait répondu au préfet de police que l’organisation qu’il représente prendrait toute décision quand au maintien ou pas de cette manifestation. On ne sait pas vraiment si c’est le procureur qui a voulu faire du zèle ou si ce sont les instructions du garde des Sceaux. Sur le principe, les juges d’instruction sont indépendants... mais ils peuvent aussi devancer les désirs d’un gouvernement.

Appel, pétition, rassemblements... Il y a eu une large mobilisation autour d’Alain Pojolat. C’est peut être parce que son cas était emblématique de la répression que subie le mouvement social, et en particulier autour de solidarité avec la Palestine ?

Il y a déjà eu des procès de ce type. Mais c’est vrai qu’avec ce gouvernement, c’est la première fois que l’on tente de poursuivre celui qui a déposé la demande d’organisation d’une manifestation sur le plan administratif. C’est vrai qu’il y a une criminalisation du soutien aux mouvements sociaux, et c’est de pire en pire. 

Par exemple, les lois qui vont être votées dans les jours qui viennent sont beaucoup plus larges que ce qui est dit, car cela ne concerne pas seulement les prétendues affaires de terrorisme. Quand on lit le texte, on voit que n’importe quelle personne qui participe à une manifestation pourrait être poursuivie, pourrait être écoutée. La notion est extrêmement large et va beaucoup plus loin que les affaires dites de terrorisme. Et il n’y a pas vraiment de critiques de gauche de cette loi. Il y a même un député de droite, un ancien juge antiterroriste, Alain Marsaud, qui a déclaré que sur certains points, cette loi était liberticide... On ne sait pas par qui cette loi pourra à l’avenir être appliquée, mais on sait qu’avec une telle loi, on ne pourra plus manifester librement, on sera surveillé, écouté, on pourra avoir un copie de nos ordinateurs. Il n’y aura plus aucune garantie de rien.

Et c’est un gouvernement « socialiste » qui crée cette loi...

D’autant que le projet de loi avait été écrit avant les attentats de janvier. Ce n’est donc pas en réaction à cela, c’est une loi qui est là pour empêcher toute contestation, radicale ou pas.

Sur la Palestine déjà, la France a été le seul pays d’Europe à interdire les manifestations de soutien. Il n’y a pas d’autre exemple. Et dans l’ensemble les manifestations se sont déroulées dans le calme. Sauf en France du fait de la présence policière et des interdictions. Je crois que les juges ont été assez sensibles à cet argument. Dans l’histoire des manifestations de soutien à la Palestine, depuis maintenant plus de 40 ans, il n’y en avait qu’une qui avait été interdite. À l’époque, j’avais d’ailleurs défendu il y a vingt ans un militant palestinien qui avait été relaxé : il était présent à la manifestation pour dire qu’elle était interdite...

Pour Alain Pojolat, c’est une victoire, mais cela peut être une victoire éphémère.

Propos recueillis par Pierre Baton