Après l’assaut sanglant contre la Flottille de Gaza, plusieurs dirigeants et responsables militaires israéliens ont justifié la violence de l’opération en affirmant que les objectifs des bateaux «n’étaient pas seulement humanitaires».
Au-delà des mensonges sur les supposées armes des passagers (que l’on n’a toujours pas vues…) et sur leur soi-disant agressivité (comme s’ils n’avaient pas le droit de se défendre contre des pirates surarmés les attaquant en pleine nuit…), les organisateurs de la Flottille ont donc été accusés d’avoir des «intentions politiques».
Un combat humanitaire ou politique?
Cette accusation est révélatrice à bien des égards. Tout d’abord, elle suppose que l’on puisse tracer une ligne de démarcation stricte entre action «humanitaire» et action «politique». Or comme l’a notamment rappelé Rony Brauman après l’assaut contre la Flottille, nombre d’actions d’assistance à des populations en danger, lorsqu’elles ne sont pas consécutives à des catastrophes naturelles mais à des politiques étatiques, sont par définition politiques. Les organisateurs de la Flottille ont d’ailleurs clairement affirméqu’ils poursuivaient un but politique: dénoncer le blocus de Gaza.
Mais au-delà, cette «accusation» est lourde de sous-entendus. La tragédie des Palestinien-ne-s de Gaza serait essentiellement humanitaire, elle n’aurait pas de racines politiques et n’appellerait donc pas de réponses politiques. Cette rhétorique en vogue vise à nier le caractère politique de la question palestinienne en la transformant en question humanitaire: les Palestiniens ne seraient pas un peuple avec des droits nationaux collectifs, mais des individus avec des besoins qu’il faudrait satisfaire. Tel est le sens profond de la «paix économique» proposée par Netanyahu.
Or la question palestinienne est une question profondément politique. Elle est structurée, depuis plus d’un siècle, par deux contradictions majeures: contradiction entre, d’un côté, le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif en Palestine et, de l’autre, les droits nationaux du peuple palestinien autochtone; contradiction entre, d’un côté, les visées prédatrices des puissances impérialistes au Moyen-Orient et, de l’autre, les droits des peuples de la région à choisir leur destin, leurs dirigeants, et jouir de leurs ressources naturelles.
Le combat palestinien contre Israël est donc essentiellement, et doublement, anticolonial. L’Etat colonial d’Israël est né, et ne peut survivre, que par la négation des droits des Palestiniens. Au-delà, il occupe une place centrale dans le maintien du dispositif impérialiste régional. De la participation d’Israël à l’offensive franco-britannique de 1956 contre la nationalisation du Canal de Suez à la tentative (manquée) d’écrasement du Hezbollah en 2006, Israël a joué, et joue, un rôle de chien de garde des intérêts impérialistes, par la dissuasion ou le recours à la force brute.
La Palestine: question régionale et internationale
La question palestinienne dépasse donc très largement les frontières. La très forte solidarité des populations arabes, que ce soit au Maghreb ou au Machrek, avec la lutte du peuple palestinien, ne se réduit pas à une identification culturelle. Ses racines sont elles aussi profondément politiques: les échecs (intérieurs et extérieurs) du nationalisme arabe post-indépendances, accélérés par la défaite militaire de juin 1967 contre Israël, ont placé le combat du peuple palestinien à l’avant-garde de la lutte régionale contre le sionisme et l’impérialisme.
Dans le monde arabe, la question palestinienne occupe une place déterminante et potentiellement déstabilisatrice. Nombre de dirigeants des Etats arabes, issus de mouvements nationalistes qui ont échoué à conquérir l’indépendance réelle, ont renoncé aux promesses émancipatrices du passé et construit des régimes autoritaires inféodés aux puissances impérialistes. Or la sympathie et l’identification populaires à la cause de la Palestine contraignent ces dirigeants à adopter, pour la plupart, une solidarité de façade avec les Palestinien-ne-s.
Mais les exigences des parrains impérialistes sont claires: ni les Etats-Unis, ni l’Union européenne, ne sont prêts à tolérer qu’un quelconque régime arabe ne franchisse la ligne rouge en apportant un soutien réel, appuyé, durable, au peuple palestinien. Les dictateurs arabes s’en accommodent parfaitement car ils savent que la place qu’ils occupent dans le dispositif impérialiste régional est, aussi paradoxal que cela puisse paraître, garantie par l’élément principal (à l’heure actuelle) de stabilisation de ce dispositif: Israël.
Les Palestinien-ne-s ne peuvent l’emporter seul-e-s face à Israël. De même, Israël ne peut s’enfermer dans un tête-à-tête avec les Palestinien-ne-s et a besoin d’alliés régionaux. Le rôle joué par l’Egypte, qui participe activement au blocus de Gaza, est à ce titre exemplaire. La solidarité populaire avec la Palestine en Afrique du Nord n’est donc pas «seulement» une affaire d’internationalisme: elle peut jouer, comme en Egypte, un rôle de catalyseur dans les mobilisations contestant les régimes en place et leurs connivences avec les puissances impérialistes.
Le combat des Palestiniens est donc au cœur du combat des peuples de la région contre la domination coloniale et néocoloniale: toute victoire des un-e-s est, par définition, la victoire des autres et, par extension, notre victoire.
Julien Salingue