Cet article aborde l’actualité et les répercussions des actions menées par les nouvelles structures (in)humanitaires privées récemment mises en place à Gaza. La façon dont les dynamiques sécuritaires post-2001, la destruction du secteur public de l’action humanitaire, les périodes de mise en œuvre et d’application de cette aide font de celle-ci un outil colonial voilé sous l’étendard de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Ce qui semble être une solution matérielle et temporaire aux conséquences de l’impérialisme — à savoir l’aide humanitaire — n’est que son parachèvement.
L’impérialisme est défini par Lénine1 comme « le stade monopoliste du capitalisme. » ou comme « un capitalisme parasitaire ». Le parasitisme qui caractérise l’impérialisme se renouvelle selon les configurations historiques, et se caractérise différemment selon les cadres spatio-temporels dans lesquels il opère. Au sujet de la Palestine, le parasitisme de l’impérialisme se traduit certes par l’exploitation d’un territoire par les classiques et installés « États-rentiers », mais va jusqu’à la réappropriation par ces États de « solutions humanitaires ». Lesdites « solutions » sont modelées par la privatisation qui ne permet plus d’amortir les conditions délétères générées par les prédations capitalistes qui transforment l’action humanitaire en stratégies inhumanitaires. L’impérialisme agressif qui s’opère en Palestine n’est plus la somme des colonies de peuplement, de la politique de la terre brûlée, de la torture par la faim et de la déportation des Palestiniens en dehors de leur propre territoire, il intègre désormais ce nouvel élément vicieux et garant d’une caution humaniste.
L’alliance des États-Unis et d’Israël connaît les possibles limites de sa collaboration inter-impérialiste — à savoir les opinions de leurs peuples respectifs, mais aussi le regard international sur la situation actuelle. Les justifications idéologiques autour de la « démocratie au Proche-Orient » ou du respect des libertés fondamentales ne peuvent plus être la caution des opérations militaires menées. La documentation en direct du génocide colonial ne permet plus d’assouvir l’avidité d’expansion de territoires au sein du Moyen-Orient, il faut contourner le blâme, cacher la bête. L’aide humanitaire constitue ce grossier maquillage, et le paroxysme de son instrumentalisation est atteint quand l’aide humanitaire devient pour l’alliance impérialiste pré-citée un outil nécessairement capitaliste pour l’un et vitalement colonial pour l’autre, matérialisé par l’édification de la Gaza Humanitarian Foundation. L’aboutissement final, le projet co-impérial derrière la privatisation et la militarisation reste ambigu. Le Grand-Israël de l’entité sioniste ou le plan Gaza-Riviera de Donald Trump ? L’heure n’est pas au débat de la répartition de ce bout de territoire entre les pays monopolistes, mais en premier lieu d’accélérer la colonisation tout en générant des profits.
Rendre possible la privatisation de l’aide humanitaire pour contourner ses structures institutionnelles et ses principes fondamentaux
Dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale, une vague de coopération internationale est mise en place. Cette solidarité transnationale se matérialise sous le joug inter-impérial de l’Organisation des Nations unies sous l’étendard du « plus jamais ça ». La logique onusienne entend entériner la « paix des vainqueurs » en positionnant cinq puissances coloniales à la tête de sa structure décisionnelle. S’arrogeant désormais d’un droit de véto, cette collaboration inter-impériale peut désormais décider — et en toute légalité — la répartition de leurs dominations, des proxys et des rétributions symboliques qui les positionnent comme puissances salvatrices. Il est évident que cette structure décisionnelle conservée est vectrice de nos jours de l’impossibilité voire du caractère annulatif du droit international quand les résolutions se font au bon vouloir de l’administration Trump. Parallèlement, la volonté de rompre définitivement avec l’horreur de la Shoah se matérialise dans le développement de programme d’aide humanitaires visant sporadiquement et de manière ciblée à aider des états où la population est affamée, meurtrie et torturée. C’est dans ce courant que l’UNRWA2 a vu le jour. Bien que son émergence ne relève pas d’aspirations humanitaires des Étatsuniens, mais plutôt d’une volonté de l’instrumentaliser, notamment dans le contexte de la guerre froide, l’UNRWA s’indépendantise au fur et à mesure notamment par le biais du désenchantement du Congrès américain qui n’y trouve plus d’intérêt3. Renforçant son action humanitaire celle-ci a par la suite constitué un pilier pour l’aide aux Gazaouis tout en tenant dans « l’oisiveté complète une foule qui par ailleurs est obligée de vivre dans des conditions anormales »3
Parallèlement, le paradigme initial d’aide humanitaire transitionne dans les années 1990 vers un nouveau modèle d’aide centralisé par des organisations non gouvernementales (ONG)4. Cependant, la crise des États-providence et plus généralement les crises financières en Occident ont débouché sur un « marché de la solidarité »5 où règnent désormais des logiques de fusion-acquisition des ONG ou leur privatisation. Pour obtenir des fonds de bailleurs publics ou privés, les structures humanitaires entrent dans une dynamique concurrentielle en vue d’atteindre une position monopolistique dans le secteur. Les mécanismes américains d’appel d’offres et donc de sélection des structures — rentables — par les bailleurs, intensifient l’interpénétration des sphères publiques et privées au sein d’une « industrie de l’aide »6 où les supposés bénéficiaires deviennent des « parts de marché potentielles »7. Cette marchandisation de l’humanitaire se caractérise en France entre 1990 et 2007 par la multiplication par dix des financements d’entreprises au nom du développement et non celui des organismes internes aux pays concernés.
Mise À mort de l'UNRWA
De chaque côté du Pacifique, les acteurs de l’alliance américano-israélienne ont détricoté fil par fil le tissu humanitaire qu’incarnait l’UNRWA, tantôt par les coupes budgétaires américaines dès 2018 (sous l’impulsion de Nikki Haley) ou par l’interdiction de la présence de l’agence onusienne sur le « territoire israélien » sous prétexte de supposées accointances entre ses agents et le Hamas. Ces décisions — décriées par de nombreux acteurs et ONG à l’international — doivent être analysées sous un prisme spécifique concernant la Palestine, particulièrement à l’heure où le gouvernement israélien ambitionne une stratégie de privatisation et de monopolisation de l’aide humanitaire. L’un des principaux arguments justifiant l’arrêt des financements de l’UNRWA mis en avant par l’administration Trump II concerne la supposée participation de douze agents de l’organisation dans l’attaque du 7 octobre 2023. Cette information fut partagée en janvier 2024 par un site d’information israélien siégeant à Jérusalem et affirmant s’appuyer sur des « sources internes au gouvernement israélien »8. En dépit d’une enquête annoncée par Philippe Lazzarini9, directeur de l’UNRWA, il est compliqué d’accéder à des sources fiables ou simplement existantes concernant cette « enquête », et en conséquence concernant ses résultats. Néanmoins, que cette implication soit réelle ou erronée, l’administration Trump I annonçait déjà la suppression de ses subventions dès 2018. La première annonce invite à se questionner sur le caractère catalyseur ou instrumental de l’argument des accointances entre les agents onusiens et le Hamas par Trump II. Les raisons étaient déjà multiples et s’inscrivaient dans la stratégie unilatérale-isolationniste — aussi dite jacksonisme10 — de Donald Trump, à savoir conforter les intérêts internes aux États-Unis en étendant sa puissance à l’étranger de manière unilatérale. Trop éloignée des intérêts américains, l’Organisation des Nations unies serait selon l’administration Trump également trop politique et détentrice d’un « biais anti- Israéliens »11. Largement en amont des accusations d’accointances avec le Hamas, le sort de l’UNRWA et de ses financements étaient ipso facto déjà ficelés par Trump I et simplement catalysés par Trump II. À l’ère d’un capitalisme globalisé, il s’agit de s’intéresser aux dynamiques néolibérales du glissement de structures publiques comme l’UNRWA vers des modèles privés d’aide humanitaire à l’instar de la Gaza Humanitarian Foundation.
La loi criminalisant et interdisant l’UNWRA au sein de l’entité israélienne votée en octobre 2024 a parachevé la chute de cette agence tout en générant une concurrence accompagnée d’un marketing hors-sol de nombreuses sociétés privées, à l’instar d’un des premiers groupes à se positionner pour séduire le gouvernement israélien, la Global Delivery Company (GDC) : « When crisis hits, GDC is there for you [quand la crise frappe, CGD est là pour vous] ». Une concurrence pour monopoliser le secteur de l’aide humanitaire : l’irrationalisme ou l’antithèse parfaite pour matérialiser le parasitisme de l’impérialisme contemporain. Dans cette compétition parmi ces sociétés privées voraces qui n’accorderont jamais un iota de considérations pour les peuples opprimés, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), dont la récente date de création devrait plus questionner qu’arranger semble cristalliser les aspirations de l’alliance américano-israélienne. Créée en février 2025, l’organisation « à but non lucratif » se voit attribuer le monopole de la situation dès le printemps qui suit. L’opacité de son organisation financière, le manque de clarté dans ses statuts juridiques et sa position de dominée sous la tutelle de deux sociétés militaires privées (UG Solutions et Safe reach Solutions) chapeautées elles-mêmes par une holding américaine de gestion de patrimoine (Two Ocean Trust LLC), laissent présager un organisme ancré dans l’installé et nuageux impérialisme américain. Jake Wood, son ancien directeur exécutif, se retire de la partie dès fin mai, en mettant en lumière l’absence des principes constitutifs du droit international humanitaire, le principe d’impartialité, de neutralité et d’indépendance12. Il sera — dans un continuel clanisme trumpiste — remplacé par un conseiller de Donald Trump et proche du gouvernement israélien : Johnnie Moore.
Déshumanisation de l'aide humanitaire
Dans une dimension pratique et juridique, le secteur humanitaire se caractérise par son principe d’indépendance, d’humanité, d’impartialité, et de neutralité13, et dans une dimension politique par son action et l’intention en arrière-plan de cette même action.14
Rony Bauman, ancien président de Médecins sans frontières et enseignant à Sciences-Po Paris, a émis une définition consensuelle et peu clivante de l’action humanitaire : « l’action humanitaire est celle qui vise, pacifiquement et sans discrimination, à préserver la vie dans le respect de la dignité, à restaurer l’homme dans ses capacités de choix », puis il ajoute : « L’intention du geste, que doit guider le souci de l’Autre, et non la défense d’intérêts ». Synthétiquement, les intérêts privés ne peuvent accompagner l’action humanitaire et cette action ne peut donc être privatisée sans tromper sa propre essence, voire sans être constitutive de l’ingénierie inter-impériale.
La population palestinienne est le terrain direct d’essai de transitions de modèles d’aide vers des stratégies à buts lucratifs et coloniaux et en conséquence elle subit l’intensification des massacres sous couvert d’aide humanitaire. La décimation progressive de l’UNRWA a pu laisser un terrain vierge et fertile à une structure d’aide humanitaire américaine privée : la GHF. Cette représentation parfaitement orchestrée d’un glissement du public vers le privé permet de poursuivre une « aide » essentielle et vitale qu’il faut nécessairement combler quand l’aide publique n’existe — intentionnellement — plus.
Le retrait de l’État américain des financements peut-être considéré comme son redéploiement. Il se décharge de la prérogative humanitaire en Palestine en supprimant les subventions de l’UNRWA, mais n’est pas dans une situation de retrait, car ses sphères privées — en accointance avec l’État — assurent la continuité des services dits humanitaires. En somme, la privatisation comme outil de redéploiement de l’État — à travers un gouvernement alternatif — permet in fine à ce dernier de se redévelopper en prenant appui sur des acteurs privés (la GHF) pour aboutir à davantage de contrôle par le biais d’une souveraineté interne et externe confortées15 par le brouillage des frontières entre sphère publique et privée. C’est une nouvelle forme de gouvernementalité ancrée dans des logiques néolibérales qui confirme les thèses post-weberiennes d’une décharge de l’État permettant paradoxalement sa réaffirmation par le biais de la sphère privée. La présence américaine dans la bande de Gaza permet d’assurer une permanence des structures militaires dans la région faisant du Moyen-Orient un proxy pour l’impérialisme américain. Elle permet aussi de se positionner dans le continuum de la stratégie trumpiste d’affirmation symbolique et salvatrice au sein du Moyen-Orient. Il est évident qu’en parallèle des gains politico-symboliques, des liens entre l’administration Trump et cette structure humanitaire, la GHF génère également des profits pour les acteurs de la structure économique qui lui permettent de se maintenir. L’accès aux informations concernant les divers financements est compliquée par l’opacité installée, bien que certains articles mettent en avant la source d’une partie des financements : le gouvernement israélien.16
Cette implication des États-Unis via les sphères privées au sein du Moyen-Orient s’accompagne d’une militarisation accrue de l’aide humanitaire. C’est en effet au profit de la sécurité et de la défense israélienne que se sont développées les sociétés privées d’aide humanitaire qui recherchent davantage la rentabilité que le respect déontologique de la pratique. Les agents de la GHF sont dépourvus de formations humanitaires ou liées au développement mais sont généralement des anciens agents de sécurité américains armés. Ces structures privées sont ipso facto une nouvelle manière de contourner les structures humanitaires classiques, mais surtout de militariser les distributions.
militarisation des structures humanitaires
À l’instar de Sami Makki16, certains chercheurs mettent en lumière dès 2010 le tournant sécuritaire des États occidentaux — impulsé par les États-Unis et les dynamiques post-2001 — qui « reprennent l’initiative de l’action humanitaire [pour l’intégrer] aux composantes de l’action diplomatique et militaire ».
Cette militarisation de l’aide humanitaire n’intervient ni dans un conflit symétrique, ni durant une guerre civile, elle intervient durant un génocide colonial où la totalité des stratégies sont utilisées pour poursuivre l’objectif final. En conséquence, la militarisation de l’aide humanitaire a provoqué de nombreux assassinats dans la bande de Gaza. Le média Al-Jazeera répertorie dès le 27 mai une dizaine de morts et 62 blessés dûs à l’attaque de chars israéliens durant les distributions, ce à quoi l’armée israélienne a répondu seulement tirer « des coups de semonce » pour éloigner la population souhaitant se frayer un chemin pour atteindre le point de distribution. Ces massacres se sont routinisés sur les points de distribution avec ceux de Witkoff, le 1er juin 2025, puis se sont pérennisés le 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15 juin etc. La formation militaire des agents nouvellement humanitaires ne permet en rien une expertise concrète, pertinente et adaptée aux réalités concernant ces différentes situations de crimes. Ces « abattoirs humains », pour reprendre les termes du Ministère de Santé de Gaza, sont accompagnés de matériels algorithmiques de surveillance de la population permettant une nouvelle marge de manoeuvre arbitraire dans l’interprétation des actions dites légitimes du gouvernement israélien. Ces mécanismes permettent une nouvelle fois de justifier la privation de liberté et les assassinats massifs sous couvert de lutte contre le terrorisme. Néanmoins, quand la soi-disant lutte contre le terrorisme s’est traduite par l’assassinat de femmes et d’enfants à hauteur de 70 % dans la bande depuis le début du génocide17, il est encore compliqué de justifier par quelque moyen une prétendue lutte contre le Hamas. De plus, l’interprétation israélienne de ses cibles a trouvé une continuité dans ces points de ralliement qui permettent de regrouper la population pour effectuer une meilleure « gestion » au sens génocidaire du terme.
De même, une cartographie du centre de recherche de la BBC18, réalisée le 31 mai 2025, permet également d’analyser la répartition géographique de ces points de distribution afin d’analyser les choix politiques et impérialistes de leur localisation. Trois points sur quatre sont positionnés dans l’extrême sud de la bande Gaza, à la frontière égyptienne, le dernier est isolé au nord de la bande. Des zones géographiques qui corrèlent avec les dernières déclarations du gouvernement israélien au sujet des projets de déportation de la population palestinienne. Les assassinats de masse qui s’opéraient dans ces zones surpeuplées et militarisées ont été dénoncés par plus de deux cents ONG arguant qu’en quatre semaines « plus de 500 Palestiniens ont été tués et près de 4 000 blessés simplement parce qu’ils essayaient d’accéder à de la nourriture »19.
techno-colonialisme comme outil impérialiste
Par ailleurs, le techno-impérialisme est un outil privilégié de l’alliance américano-israélienne à travers le déploiement d’outils de biométrie et d’une technologie de reconnaissance faciale, prétextant la recherche de quiconque en lien avec le Hamas pour généraliser la surveillance dans la bande. Durant l’embargo, le techno-colonialisme israélien initiait déjà la soumission du peuple palestinien aux technologies israéliennes. Elle s’est transformée en réel outil colonial, de manière plus directe, et donc accélérée. En janvier 2025, Apoorva PG mettait déjà en lumière la façon dont l’apartheid israélien s’appuyait sur la Big Tech pour surveiller, réprimer et contrôler la population palestinienne qui est ipso facto en première ligne des victimes du colonialisme numérique20. L’autre face de ces technologies coloniales est l’implantation de centres en recherche et développement par les industries technologiques en Israël qui ont conscientisé l’apport fondamental qu’un terrain colonial pouvait apporter à leurs expertises. Des statistiques élaborées par « Stop the Wall », une campagne palestinienne, mettent en lumière le développement du secteur Recherche et Développement (R&D) par l’alliance inter-impérialiste.
« Pendant les dernières décennies, plus de 300 entreprises technologiques multinationales leaders du secteur ont établi des centres R&D en Israël, ce qui correspond à environ 50 % des dépenses des entreprises en R&D. Ces multinationales ont acquis un total de 100 compagnies israéliennes. Un certain nombre d’entre elles [...] telles Intel, Microsoft, Broadcom, Cisco, IBM et EMC [...] ont acquis plus de 10 compagnies locales durant leur temps opérationnel en Israël. Plus de 30 licornes de la tech [...] des start-up évaluées à plus d’un milliard de dollars [...] sont situées en Israël. Cela représente environ 10 % des « licornes » dans le monde. »21
Organiser la famine grâce à l'aide humanitaire
Au moment où cet article est écrit, la Gaza Humanitarian Foundation est toujours en marche dans la bande, en dépit de l’accumulation des articles de presse dénonçant ses pratiques. Récemment, une enquête menée par la BBC et diffusée — en partie — par Courrier International, dénonce la présence du Infidels Motorcycle Club dans la bande, censé « assurer » les distributions alimentaires. Ce groupuscule politique de motards américains affichant un patriotisme américain prononcé et un fort rejet de l’islam, a adopté pour symbole la croix des Croisés, les chevaliers chrétiens ayant participé aux Croisades pour reprendre Jérusalem et la Terre Sainte aux musulmans durant le Moyen Âge. Le déploiement des infidels MC s’inscrit dans le continuum non seulement du non-respect du droit international humanitaire et de ses principes, mais surtout dans la logique coloniale de haine et de négation de l’existence d’un peuple sur un territoire donné. Un responsable d’un des sites de distribution de la GHF a récemment affiché une photo présentant une banderole avec l’inscription « Make Gaza Great Again ». Un acte permettant de réaliser l’emprise de la stratégie trumpiste au sein de Gaza, mais surtout l’impunité des crimes de l’alliance américano-israélienne bien trop souvent oblitérée des sanctions internationales.
En somme, le paradigme humanitaire s’est renouvelé sous un stade avancé du capitalisme et répond — dans notre cas — davantage à des logiques sécuritaires qu’humanitaires. La décimation progressive de l’UNWRA était nécessaire pour l’alliance américano-israélienne afin de créer artificiellement un vide qu’il faut combler par le biais du secteur privé. L’émergence de la GHF répond à cet appel du privé par la destruction du public, mais n’est pas pour autant analogue au retrait de l’État. L’État américain de Donald Trump voit son caractère décisionnel renforcé par les multiples liens entretenus entre l’administration et la GHF, qui devient une structure dont les objectifs sont aux antipodes des principes de l’action humanitaire. Par le contournement des structures institutionnelles et des principes fondamentaux de l’aide humanitaire, la privatisation permet de militariser cette même aide afin de convenir à l’autre face de l’alliance : le gouvernement israélien. Cette militarisation opère dans un contexte plus général d’augmentation des dynamiques sécuritaires impulsée par les États-Unis sous couvert d’une lutte contre le terrorisme.
- 1. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916.
- 2. L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, en anglais : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (UNRWA), est un programme de l'Organisation des Nations unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, qui a débuté en décembre 1949.
- 3. Jalal Al-Husseini, L’assistance humanitaire en faveur des réfugiés de Palestine, instrument de la politique étrangère américaine. Politique Américaine, 2010, Vol. 3, n°18, pp. 57-73.
- 4. Selon le représentant de la Croix-Rouge américaine, le 4 mars 1949, dans Archives du CICR : série G.59/I/GC/E, « Correspondance avec le commissariat ».
- 5. François Jean, Le triomphe ambigu de l’aide humanitaire. Revue Tiers Monde, 1997, pp. 641-658
- 6. Jérôme Larcher, Le déclin de l’Empire Humanitaire.Fondation pour la Recherche Stratégique, L’Harmattan, 2017, p. 102-112
- 7. Ibid., p. 108
- 8. Ibid.
- 9. Jacob Magid, UNRWA sacks staffers who allegedly participated in Oct. 7 attack ; US halts funding. The Times of Israel, 26 January 2024.
- 10. Le Monde avec AFP, Guerre Israël-Hamas : l’UNRWA se sépare de « plusieurs » de ses employés, soupçonnés d’avoir participé à l’attaque du 7 octobre. 26 janvier 2024.
- 11. Walter Russel Mead, The Jacksonian Tradition : And American Foreign Policy. The National Interest, n° 58, 1999, pp. 5-29.
- 12. La Dépêche du Midi, Réfugiés palestiniens : Trump coupe les vivres à l’ONU. 02 septembre 2018
- 13. Gaza : le chef de la nouvelle fondation humanitaire soutenue par Washington, Jake Wood, démissionne. Le Parisien avec AFP, 26 mai 2025.
- 14. Résolution 46/182 de l’Assemblée Générale des Nations Unies : « Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence de l’Organisation des Nations Unies »
- 15. Michael Barnett, Thomas G. Weiss, Humanitarianism in question. Politics, Power, Ethics. Cornell University Press, Ithaca and London, 2008, p. 98
- 16. Clothilde Mraffko, Marie Jo Sader, À Gaza, le délitement annoncé de la fondation humanitaire GHF. Le Monde, 5 juin 2025.
- 17. Sami Makki, Les enjeux de l’intégration civilo-militaire aux États-Unis. Regards d’un sociologue embarqué dans les nouveaux réseaux hybrides. Politique Américaine, 2010/2, n°17, pp. 27-48.
- 18. ONU, Près de 70 % des victimes de la guerre à Gaza sont des femmes et des enfants. Site news.un.org, 8 novembre 2024.
- 19. Matt Murphy, Kevin Nguyen, How controversial US-Israeli backed Gaza aid plan turned to chaos. BBC, 31 mai 2025.
- 20. Médecins Sans Frontières, Gaza : mettre fin à un système de distribution qui oblige la population à choisir entre mourir de faim ou sous les balles, 4 juillet 2025
- 21. PG Apoorva, Voir le monde comme un-e Palestinien-nne. Luttes intersectionnelles contre Big Tech et l’apartheid israélien. Ritimo, 13 janvier 2025.