Publié le Dimanche 8 janvier 2012 à 12h56.

Le basculement de l’Europe dans l’austérité durable et la récession

Dans la foulée de la crise financière et économique mondiale, a débuté ce qui allait devenir, à l’échelle internationale, la crise de la dette publique, des finances des États. Elle a commencé en Grèce pour se généraliser en 2011 à toute l’Europe. Cette « tempête » n’est pas le fruit de l’action de forces inconnues, une fatalité, mais bien la conséquence logique de la politique des États, eux-mêmes soumis volontairement aux financiers et à leurs augures, les agences de notation. Les progrès du mal peuvent se suivre étape par étape, sommet européen après sommet, chacun aggravant les dégâts provoqués par la politique décidée au précédent.

La frénésie du profit, de la rentabilité financière a poussé et pousse en permanence les détenteurs de capitaux à anticiper toujours plus des profits qui ne sont pas encore réalisés par la vente des marchandises et sans même savoir si cette vente se réalisera. Cette frénésie a entraîné « l’exubérance » du crédit, de la finance devenue pour l’essentiel spéculative car déconnectée de la production de richesses réelles. À travers les ressacs de la tempête financière, les États sont devenus le seul point d’ancrage, la seule garantie pour cette multitude de spéculations, de prêts garantissant des prêts, de produits financiers sophistiqués, les Swaps et autres CDS...

Aujourd’hui, la tempête est telle qu’elle menace les États eux-mêmes, ou du moins les moins forts, les plus déstabilisés. L’Europe, maillon faible de l’économie mondiale, espace économique soumis à la libre concurrence dont dix-sept États partagent la même monnaie depuis dix ans, l’euro, sans avoir ni voulu, ni pu, ni su se donner les moyens étatiques d’intervenir de façon concertée sur le plan monétaire ni d’harmoniser les budgets des différents États, l’Europe est devenue le jouet des spéculateurs. Le printemps de la contagionLe peuple grec fut la première cible de l’acharnement des spéculateurs. La bourgeoisie grecque espérait trouver une place au soleil en Europe à la fois en empruntant sans limite aux banques européennes et en falsifiant ses comptes avec la complicité de Goldmann Sachs, une des plus grandes banques américaines. Petit pays, miné par une bourgeoisie d’armateurs s’étant elle-même exonérée d’impôts depuis longtemps et par une Église orthodoxe à laquelle l’État a octroyé le même privilège, la Grèce devint la victime désignée des spéculateurs quand la tendance commença à s’inverser avec le début de la crise mondiale après 2007. L’idée qu’un État puisse être déclaré en banqueroute devenait une réalité.

Le 7 mai 2010, le Conseil européen valide un plan de sauvetage de 110 milliards d’euros des banques et des assurances créancières de la Grèce. Puis, la nuit du 9 au 10 mai 2010, pour éviter que la crise grecque ne s’étende à l’Irlande ou au Portugal, est créé le Fonds européen de stabilité financière (FESF) doté, en théorie, de 440 milliards d’euros. Rien n’y fera, l’Irlande dont l’État s’était endetté jusqu’au cou pour tenter de devenir un eldorado du libéralisme est prise à la gorge par ses créanciers.

Pour sauver les banques et les assurances créancières de l’Irlande, le FESF, l’Union européenne et le FMI accordent, le 21 novembre 2010, un prêt de 85 milliards d’euros à l’Irlande. Après avoir sauvé la Grèce, les dirigeants européens se félicitent : ce prêt rassure les marchés et écarte tout danger de contagion de la crise de la dette. Mais ils savent bien en fait qu’ils n’ont fait qu’injecter de l’argent pour entretenir les spéculations des banques qui imposent des taux d’intérêts insupportables, 9 % pour l’Irlande. Ainsi viendra le tour du gouvernement portugais de faire appel à l’Union européenne et au FMI pour lui permettre de faire face à ses créanciers après l’appel au secours, sur une chaîne de télévision portugaise, du président de la deuxième banque du pays, la banque Espirito Santo. Le 4 mai 2011, le Conseil européen valide le prêt de 78 milliards d’euros de l’UE et du FMI. Cette fois, la crise est définitivement enrayée, les dirigeants européens l’affirment, les marchés sont rassurés et le risque de contagion est définitivement stoppé... L’été des flambées spéculatives

Pourtant, l’été 2011, les marchés financiers insatiables ont trouvé leurs nouvelles proies. Ils se déchaînent contre les obligations d’État de l’Espagne et de l’Italie. Les taux de rendement de leurs obligations à dix ans atteignent 5,5 % pendant que les banques continuent de s’acharner sur la Grèce.

Mais, sacrifiant leurs vacances d’été, Sarkozy et Merkel « sauvent une nouvelle fois l’Europe ». Le sommet européen du 21 juillet décide un nouveau prêt de 110 milliards pour permettre à l’État grec de payer ses créances aux banques et aux assurances créancières de la Grèce. La Troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne, FMI) impose au gouvernement un plan de privatisation devant rapporter 30 milliards d’euros et un ensemble de mesures d’austérité contre les travailleurs et la population.

Mais rien n’y fait, le doute s’instaure, les cours des principales places boursières européennes dégringolent. Le 18 août, le titre de la Société générale, après plus d’une semaine de baisse, perd 12,3 % de sa valeur. L’automne de la paniqueLe 27 octobre, un nouveau sommet impose un nouvel « accord » au gouvernement grec. Les banques sont contraintes d’abandonner 50 % de la dette publique qu’elles détiennent sur la Grèce. Est mis en place un plan de recapitalisation des banques pour 106 milliards d’euros (30 milliards pour la Grèce, 26,1 milliards pour l’Espagne, 14,7 milliards pour l’Italie, 8,8 milliards pour la France et 5,1 milliards pour l’Allemagne). La Troïka impose des mesures d’austérité drastiques à la population et met la Grèce sous la tutelle de ses représentants.

Dès le lendemain, les cours boursiers recommencent à dégringoler. Le 29 octobre, le Premier ministre grec, Georges Papandréou, déclare qu’il va soumettre l’accord du 27 octobre à un référendum et accentue la panique des marchés financiers. Geste de désespoir insupportable, Papandréou laisse la place à un gouvernement d’union nationale incluant l’extrême droite. Peu de temps après, ce sera le tour de Berlusconi. Deux chefs de gouvernement, issus d’une majorité élue au suffrage universel, sont destitués et remplacés par deux anciens de la banque Goldmann Sachs : Lucas Papadémos en Grèce et Mario Monti en Italie. Ils font aussitôt voter de nouveaux plans d’austérité par leurs parlements respectifs. Avec Mario Draghi nommé à la tête de la BCE, les hommes de Goldmann Sachs occupent le terrain.

Cela ne suffit pas à rassurer les marchés. La valeur de l’euro bat de l’aile. La France est menacée de perdre son triple A. C’est l’euro qui est maintenant dans le viseur de la spéculation...L’hiver du grand froid

Merkel et Sarkozy imposent alors un nouvel accord européen, le 9 décembre 2011. Ce diktat des deux puissances européennes prétend imposer une « règle d’or » budgétaire à tous les pays européens respectant les critères de Maastricht, règle qui devrait devenir constitutionnelle. Elle est associée à des sanctions. Les budgets des États sont placés sous la surveillance de la Commission européenne. Merkozy voudrait, par la force, surmonter les contradictions de l’Europe capitaliste bancale en harmonisant les budgets et en imposant une gouvernance supranationale, au-dessus des parlements. Ce sont les peuples qui sont ainsi mis sous tutelle, soumis à des plans d’austérité drastiques pour que les banques puissent bénéficier des largesses de la BCE. La dictature des marchés étrangle la démocratie.

Mais cela ne saurait calmer les appétits du Moloch. Les cours boursiers continuent à faire du yoyo. La crise de la dette accentue la crise bancaire, obligeant les six principales banques centrales du monde à mettre sous perfusion les banques européennes pour que leur approvisionnement en dollars ne soit pas interrompu et obligeant la BCE à leur accorder un crédit de trois ans pour un total de 489 milliards d’euros. L’Insee annonce que la France et l’Union européenne viennent d’entrer en récession.

De sommet en sommet, les États et les institutions financières reconduisent la crise, chaque fois à un niveau supérieur. Ils préparent la débâcle. Avec la généralisation de l’austérité et la récession, le développement de la crise de la dette publique en Europe débouche probablement sur une nouvelle phase de la crise mondiale combinant crise financière et crise économique.

Yvan Lemaitre