Le dernier classement de Reporters sans frontières classe l’Égypte en 166e position sur 180 pays, en recul de trois places par rapport à l’an dernier. L’ECFR, Commission égyptienne pour les droits et libertés, a comptabilisé, du 20 septembre au 21 octobre 2019, 4 321 emprisonnements, 2 932 personnes mises en détention provisoire, 55 disparitions. Les journalistes paient un lourd tribut : entre octobre et décembre 2019, 25 d’entre eux ont été arrêtés.
Depuis, la répression n’a pas cessé : après d’autres comme Lina Atallah, rédactrice en chef de Madamasr, c’est Nora Younès, rédactrice en chef du site en ligne Al Manassa, qui a été arrêtée le 24 juin, puis libérée sous caution 26 heures plus tard. Les motifs sont toujours les mêmes : diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sécurité de l’État, affiliation à une organisation terroriste (sous-entendu les Frères Musulmans).
Les militantEs et leur famille ciblés
La veille, avec les mêmes motifs, c’est la sœur du fameux militant Alaa Abdel Fattah, Sanaa Seif, qui était arrêtée, au lendemain du jour où elle faisait un sit-in avec sa mère Layla Soueif et sa sœur Mona devant la prison où Alaa est incarcéré. Elles ont été battues et dépouillées par des femmes « voyous » sous l’œil indifférent des gardiens. C’est une technique usuelle du pouvoir : non content de s’en prendre aux militantEs, ce sont tous leurs proches qui sont sous la menace. Le cas le plus emblématique : cinq cousins de Mohamed Soltan, égypto-américain vivant aux États-Unis après avoir passé deux ans en prison en Égypte, militant des droits humains, ont disparu pendant deux jours pour se retrouver emprisonnés en préventive pour les mêmes motifs de diffusion de fausses nouvelles et appartenance à un groupe terroriste. Le crime de Mohamed Soltan : poursuivre devant la justice étatsunienne l’ancien Premier ministre El Beblawi, actuel directeur exécutif du FMI, en tant que responsable des mauvais traitements et des tortures entre 2013 et 2015.
Une arrestation en Égypte, c’est la maltraitance assurée : cellules bondées, pas de lumière naturelle, insuffisance ou absence de nourriture, pas d’eau potable dans un pays où les températures l’été atteignent facilement les 40 °C, pas de soins médicaux (cause du décès de l’ex-président Morsi) et la torture systématique : coups, électrocutions et viols. Aussi, à l’occasion de la journée internationale de soutien aux victimes de tortures le 26 juin, trois organisations égyptiennes de défense des droits humains ont lancé une campagne « Contre la torture, pas de torture en Égypte » qui prévoit entre autres la publication des noms d’auteurs de torture.
Les médecins également visés
On pourrait penser que seuls les activistes ou leurs proches sont menacés, mais en pleine crise du Covid, même les médecins qui s’insurgent contre leurs conditions de travail désastreuses sont victimes d’arrestations arbitraires sous prétexte de diffusion de fausses nouvelles sur la situation sanitaire, d’appartenance à un complot terroriste. Les médias proches du pouvoir les accusent de trahison et réclament pour eux la peine de mort. Il faut savoir que le système de santé est plus que défaillant, sinon absent de pans entiers du pays et que, depuis le début de la pandémie, beaucoup de médecins ont été infectés faute d’équipements de protection suffisants. Le syndicat des médecins accuse le gouvernement d’avoir muté les médecins trop bavards dans les hôpitaux où sont traités les patientEs atteints du Covid ou dans des gouvernorats éloignés en guise de punition.
Même les influenceuses de l’application TikTok sont poursuivies pour diffusion d’idées immorales et atteinte aux valeurs familiales égyptiennes.
Malgré toutes ces exactions dont le régime ne se cache même pas, la communauté internationale et singulièrement les pays vendeurs d’armes ne disent rien, France en tête puisque son VRP en chef Le Drian a fait huit fois le voyage pour placer Mirage, corvettes, frégates… En ce moment, c’est l’Italie qui joue les VRP, faisant l’impasse sur l’assassinat de Giulio Regeni, retrouvé mort sur le bas-côté d’une voie rapide, victime d’une lutte entre services de renseignement parce qu’il travaillait à une thèse sur les syndicats indépendants issus de la révolution de 2011. Une vente qui ne serait que la première phase d’un contrat de 8 à 9 milliards de dollars, contrat du siècle selon l’Italie mais honte du siècle selon Amnesty International puisque l’Égypte n’a cessé de se défausser et n’a jamais vraiment coopéré avec la justice italienne.