Publié le Mardi 2 juin 2020 à 08h43.

Le meurtre raciste de George Floyd entraîne une rébellion nationale aux États-Unis

L'enregistrement vidéo du meurtre de George Floyd à Minneapolis le 25 mai, un homme noir étranglé par un policier blanc qui s'est agenouillé sur sa gorge pendant neuf minutes jusqu'à sa mort, a déclenché la colère et l'indignation et a conduit à une rébellion nationale contre le racisme et les violences policières avec des manifestations regroupant des milliers de personnes qui se répandent à travers les États-Unis.

Ce qui a souvent commencé par des manifestations pacifiques s’est transformé en violents affrontements entre manifestantEs et policiers dans au moins 75 villes où des bâtiments et des voitures de police ont brûlé, des magasins ont été pillés, de nombreuses personnes ont été blessées et au moins quatre tuées. Ces protestations rappellent les rébellions des ghettos des années 1960 et 1970, mais ne sont pas encore aussi importantes ou destructrices.

Un mort de plus, un mort de trop

Ce soulèvement a lieu en pleine période de propagation continue du coronavirus qui a coûté la vie à 105 000 personnes dans le pays, et alors que l’arrêt des activités en réponse à l’épidémie a provoqué une dépression économique avec 43 millions de chômeurEs. Pourtant, des milliers de personnes ont décidé que protester contre le meurtre de Floyd était plus important que de maintenir la distanciation sociale.

Les derniers mots de Floyd, « Je ne peux pas respirer », sont les mêmes que ceux d'Eric Garner, assassiné par la police à New York en 2014, l'un des incidents qui a suscité le mouvement « Black Lives Matter ». Et peu de temps avant le meurtre de Floyd, le 23 février, Ahmaud Arbery, un homme noir non armé faisant du jogging, a été filmé alors qu'il était abattu et assassiné par un ancien policier et son fils en Géorgie. La mort de Floyd est tout simplement la dernière parmi des dizaines de meurtres injustifiés, par la police, d'hommes et de femmes noires au cours de la dernière décennie, et des centaines de plus au cours du siècle dernier, Ces meurtres sont l'expression la plus vicieuse du racisme profond qui imprègne la société américaine dans tous les domaines de la vie, des soins de santé et de l'éducation aux emplois et au logement. En Amérique, les Noirs sont trois fois plus susceptibles que les Blancs d'être tués par la police.

Traînée de poudre

Le meurtre de Floyd a été la goutte d’eau. Les manifestations ont initialement éclaté à Minneapolis parce que, bien que les quatre policiers impliqués dans son assassinat ont tous été licenciés, personne n'avait été inculpé pour meurtre. Ensuite, l'État n'a inculpé que l'officier qui avait effectivement tué Floyd, laissant libres les trois autres policiers présents. En l'espace d'une semaine, des manifestations – d'abord pacifiques puis violentes – se sont produites dans une ville après l'autre, parfois dans des villes où la police avait récemment tué d'autres Noirs, comme à Louisville, Kentucky, où la police avait pénétré par effraction au domicile de Breonna Taylor, une femme de 26 ans, technicienne médicale, et lui avait tiré dessus à huit reprises, la tuant. Des Noirs ont été à l’initiative de ces manifestations, mais partout des Blancs, des Latinos et des Asiatiques s’y sont également joints. La police a arrêté des centaines, peut-être des milliers, de manifestantEs.Partout, des entreprises et commerces ont été incendiés, mais la réponse d'un homme d'affaires de Minneapolis a été remarquable. Ruhel Islam, un restaurateur qui a immigré du Bangladesh il y a 24 ans pour échapper à la violence de l'État, a vu son entreprise brûler. Il a déclaré à la presse: « Que mon immeuble brûle. La justice doit être rendue et ces policiers doivent être emprisonnés. »

Trump menace les « voyous »

En réponse aux protestations, les maires ont établi des couvre-feux et appelé la police anti-émeute ; dans certains États, les gouverneurs ont mobilisé la police d'État et la Garde nationale. Le président Donald Trump a qualifié les manifestants de Minneapolis de « voyous » et a tweeté: « Lorsque le pillage commence, les tirs commencent aussi. » Lorsque des manifestantEs sont apparus devant la Maison Blanche, Trump a tweeté qu'ils seraient reçus avec « des chiens féroces et des armes inquiétantes » et a déclaré que « de nombreux agents des services secrets (qui gardent le président) n'attendent que d’entrer en action ». Au même moment, Trump a déclaré à la presse que « MAGA aime les Noirs ». MAGA est son slogan, « Make America Great again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique »). Alors que les manifestations se répandaient à travers le pays, Trump et son vice-président Mike Pence se sont envolés pour Cap Canaveral, en Floride, pour regarder le lancement de la capsule Space-X où Trump a déclaré : « Alors que nous inaugurons une nouvelle ère d'exploration spatiale, nous devons nous rappeler que l'Amérique est toujours capable de transcender les grands défis. »

Trump a rejeté la responsabilité de la rébellion sur les « Antifas », le mouvement antifasciste, et sur les Démocrates, et il a appelé « les maires et gouverneurs libéraux » à « devenir beaucoup plus sévères » avec les manifestants, menaçant d'appeler l'armée. Il a également suggéré qu'il devrait y avoir une « nuit MAGA à la Maison Blanche », ce qui entraînerait sûrement des conflits entre ses partisans et des manifestants. Le procureur général William Barr a déclaré que les manifestations avaient été détournées par « des groupes extrémistes de la gauche radicale ». Il a promis d'utiliser les lois anti-émeutes des années 1960, qui interdisent le franchissement des frontières entre les États. Dans le même temps, plusieurs informations indiquent que des hommes blancs armés portant des symboles de groupes d'extrême droite, tels que les « Trois pour cent » (milice para-militaire), ont infiltré certaines manifestations. Des manifestants auraient expulsé des nationalistes blancs de leurs défilés.

Gauche et syndicats mobilisés

Joe Biden, le candidat probable du Parti démocrate à la présidentielle de novembre 2020, a déclaré: « Protester contre une telle brutalité est juste et nécessaire. C'est une réponse tout à fait américaine… La violence qui met des vies en danger ne l'est pas. » Bernie Sanders, ancien candidat à la présidence soutenant maintenant Biden, a tweeté : « Le meurtre de George Floyd n'est pas seulement un scandale. Il s'agit de la plus récente manifestation d'un système qui méprise la vie des Noirs. »Des syndicats et la gauche se sont également mobilisés. L’Amalgamated Transit Union, le syndicat qui représente les chauffeurs de bus et les agents du métro de tout le pays, a appelé ses membres à refuser de transférer des prisonniers pour la police. Des infirmières ont participé à des manifestations à Brooklyn avec des pancartes dénonçant le manque d’équipement qui fait que les malades du Covid-19 ne pouvaient pas, eux non plus, respirer. Les socialistes démocrates d'Amérique (DSA) ont publié une déclaration condamnant le meurtre raciste de Floyd par la police, mais la vitesse, l'ampleur et la portée des manifestations actuelles vont bien au-delà de la capacité de la gauche à jouer un rôle important.

Traduction Henri Wilno