Publié le Jeudi 26 novembre 2015 à 07h30.

Le projet de grande coalition contre Daesh explose en vol....

La Turquie a abattu, mardi 24 novembre, un avion de combat Su-24 de l'armée russe qui avait violé son espace aérien à la frontière syrienne, au nord de Lattaquié. Selon l'armée turque et le Pentagone l'appareil aurait été averti dix fois en cinq minutes avant d'être descendu par deux F-16. Lors d'un discours mardi à Ankara, le président turc Erdogan avait justifié le recours à la force : "Tout le monde doit respecter le droit de la Turquie à protéger ses frontières[...]Nous n’avons absolument aucune intention de provoquer une escalade après cette affaire […]Nous défendons seulement notre sécurité et le droit de notre peuple. »

La coalition d'intérêts divergents

Cette agression s'inscrit dans une suite d'incidents révélateurs des tensions entre la Turquie et la Russie, incidents aériens, différend sur le prix du gaz russe, frappes de l'aviation russe près de sa frontière avec la Syrie qui visent des villages de civils turkmènes, une minorité turcophone en Syrie. L’entrée de la Russie dans le conflit, le 30 septembre, a entraîné des bombardements sur ces villages situés au nord de Lattaquié, non loin de la frontière avec la région turque du Hatay, en appui d’une offensive au sol menée par l’armée d'Assad et à laquelle les combattants turkmènes tentent de résister. Parallèlement, la Turquie a bombardé les forces kurdes en Syrie proche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qu'Erdogan combat alors que Moscou veut les utiliser en fonction de ses propres intérêts.

Ces différends viennent donner du crédit au propos du ministre des affaires étrangères russe : «Nous avons de sérieux doutes sur le fait qu’il s’agisse d’un acte spontané, cela ressemble beaucoup à une provocation planifiée. » Poutine parle de « coup de poignard dans le dos ». "Que faire après des faits aussi tragiques, la destruction de notre avion et la mort d'un pilote ? [...]Après ce qu'il s'est passé hier, nous ne pouvons exclure d'autres incidents. Et s'ils se produisent, nous devrons réagir."

Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères russe, a annoncé que la Russie «  ne fera pas la guerre », mais allait « sérieusement réévaluer » les relations entre les deux pays à la suite de « cette attaque totalement inacceptable ». Il a annoncé le déploiement de systèmes antimissiles S-400 sur sa base aérienne de Hmeimim, en Syrie, et que les bombardiers russes voleront désormais sous la protection d’avions de chasse.

Jeu diplomatique et impuissance

Cet accident militaro-diplomatique vient encore compliquer un conflit qui devient global. La grande coalition contre Daech dont Hollande se fait le champion en rencontrant Obama, Merkel, puis Poutine est quelque peu en difficulté.

Ces rencontres diplomatiques sont d'abord une mise en scène vis-à-vis de l'opinion publique visant à donner du crédit à la détermination de l'hypothétique coalition. Généralités et phrases creuses en sont la substance. Obama a opposé « la coalition de 65 pays » que Washington a mise sur pied et « la coalition de deux pays », Moscou et Téhéran, qui « soutient Assad ». Sauf que la première qui inclue aux côtés des puissances impérialistes l'Arabie saoudite et le Qatar ainsi que la Turquie ne vaut pas mieux que la seconde, des coalitions de brigands et de fauteurs de guerre. Les uns et les autres sont obligés de tenter de coopérer pour trouver une issue comme ils l'ont fait à la conférence de Vienne pour tracer les grandes lignes d'une virtuelle période de transition en Syrie. Tantôt Obama laisse planer le doute sur la possibilité de composer avec Assad tantôt l'inverse. Frapper « l’opposition modérée » comme le font les Russes, ne fait que « consolider le régime de Assad dont la brutalité a favorisé l’essor » des djihadistes déclarait Obama lors de sa rencontre avec Hollande. Certes, mais le financement de Daech ne passe-t-il pas par l'Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie, les alliés de Washington...

Alors, Hollande va continuer son numéro de propagande, jouer au voyageur de commerce de cette grande coalition qui vient d'exploser en vol, expliquer à propos d'Assad que «dès lors qu'il a été le problème au départ, il ne peut pas être la solution», convaincre de la volonté des grandes puissances de lutter contre le terrorisme djihadiste qu'elles mêmes et leurs alliés ont enfanté... Pendant ce temps les bombardements continuent, la population en est la première victime, les menaces terroristes sont de plus en plus importantes, en attendant que les USA décident de passer aux actes en fonction de leurs propres intérêts... Au prix d'une dégradation de la situation pour les peuples comme des relations internationales.

Yvan Lemaitre