Publié le Mardi 1 octobre 2019 à 10h52.

Le régime égyptien fragilisé

Vendredi 27 septembre, tout le monde a retenu son souffle. Est-ce que, pour la deuxième fois, les ÉgyptienEs oseraient braver le régime ? 

Depuis les premières manifestations du vendredi 20, qui ont vu des centaines de manifestantEs dans les rues de plusieurs villes comme Le Caire, Alexandrie, Suez, Mahalla El Kobra… la répression a été féroce : le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux a comptabilisé 2076 arrestations, soit 300 par jour.  

« Sissi dégage ! »

Le 27, on a vu des centaines de manifestantEs à Minya, Qena et Louxor. Au Caire, c’est à Helwan et sur l’île de Warraq qu’ont eu lieu des manifestations, puisque tous les accès à la place Tahrir avaient été bloqués par des tanks et des chars. Il faut savoir que Helwan est une banlieue très ouvrière et Warraq une île où la population mène depuis deux ans un combat acharné contre la volonté de l’État d’en chasser touTEs les habitantEs, en général très pauvres, pour en faire une île résidentielle pour riches Égyptiens et touristes. À Warraq, après une première dispersion, les habitantEs se sont regroupés une deuxième fois et il a fallu des renforts policiers venus des deux rives du Nil pour en venir à bout. Les mots d’ordre étaient partout les mêmes : « Sissi dégage ! Le peuple veut la chute du régime ! ».

Pour la majorité des habitantEs, la situation économique n’a cessé de se dégrader. Cédant aux injonctions du FMI pour obtenir un prêt de 12 milliards de dollars, le gouvernement a laissé flotter la Livre égyptienne, qui a perdu 50% de sa valeur, et surtout a supprimé progressivement toutes les subventions sur les produits de première nécessité. Conséquence, le taux de pauvreté a progressé et plus d’un tiers des 100 millions d’habitantEs vivent avec moins d’un euro cinquante par jour. 

Répression tous azimuts

Le régime a tout à fait conscience de sa faiblesse puisqu’il a encore recouru aux vieilles recettes comme demander à la plupart des institutions, culturelles, sportives et professionnelles, d’inciter leurs membres à manifester leur soutien au régime. Toutes les stations de métro autour de Tahrir seront fermées durant un mois les vendredis et samedis (le week-end égyptien) pour de prétendues opérations de maintenance. Les chars, dont certains ont été vendus par la France à l’Égypte, sont positionnés partout en centre ville. Un nombre très important de sites internet ont été bloqués ainsi que les messageries. Les piétons sont arrêtés et leur téléphone fouillé, toute vidéo ou photo témoignant d’un intérêt pour les critiques du régime valant une arrestation immédiate. De plus, parmi la vague d'arrestations qui a suivi le 20 septembre, la police a pris bien soin d'arrêter des leaders connus comme l’avocate Mahinour el Masry, figure de la révolution de 2011 qui avait été arrêtée sous Moubarak et Morsi, et des dirigeantEs potentiels sous l'inculpation de regroupement en vue d'actions terroristes et diffusion de fausses informations. 

Une opposition décimée

C’est Mohamed Aly, un youtubeur, qui a mis le feu aux poudres avec des vidéos où il dénonce la corruption du régime, la prédation de l’armée sur l’économie et l’hypocrisie d’un Sissi qui demande au peuple de faire des sacrifices alors qu’il se fait construire des résidences luxueuses. Même s’il a le grand mérite d’avoir levé un tabou en ce qui concerne l’armée, dont jusqu’à présent personne n’osait parler, il porte cependant la responsabilité d’avoir semé des illusions quant à ce qu’une manifestation appelée de l’extérieur sur Facebook et YouTube peut obtenir. Beaucoup, en Égypte escomptaient une division dans les rangs de l’armée, espérant qu’une partie d’entre elle lâcherait Sissi, ce que plusieurs rumeurs laissaient entendre. C’était sans compter sur la mainmise totale que la maréchal exerce. L’an dernier, il a limogé nombre de dirigeants des organes de sécurité pour assurer la préséance des services du renseignement militaire, qu‘il a dirigés avant d’être nommé ministre de la Guerre et Chef des armées. De plus, la répression est telle, depuis le coup d’État de 2013, qu’aucune organisation, syndicat ou parti d’opposition n’ont été épargnés. 

Toutes les revendications du mouvement de janvier 2011 demeurent et il est certain qu’on assistera à court ou moyen terme à d’autres explosions spontanées. Mais sans un travail patient de reconstruction d’une opposition politique et syndicale indépendante du pouvoir, il est vain d’espérer dans l’immédiat un quelconque débouché. En attendant, nous faisons nôtres les revendications des manifestantEs : Liberté pour toutes les prisonnières et tous les prisonniers ! À bas Sissi et son régime militaire !  

Hoda Ahmed