Publié le Mercredi 3 février 2021 à 10h14.

Brexit : les contradictions d'un projet de droite

Boris Johnson s'était vanté, lors de sa campagne Brexit couronnée de succès, que le peuple britannique pourrait « avoir le beurre et l'argent du beurre ». Récemment, un chauffeur de camion entrant en Hollande s'est vu confisquer son sandwich au jambon car il contrevenait aux réglementations frontalières. Il a demandé s'il pouvait au moins garder le pain et on lui a refusé. Pas de jambon, pas de pain et certainement pas de gâteau.

De nombreux Britanniques à l'étranger ont découvert la semaine dernière que les services de streaming TV dont ils bénéficiaient n'étaient plus disponibles avec le Brexit. Mastercard, la société de cartes de crédit, impose des frais supplémentaires aux personnes qui effectuent des achats dans l'UE. De nombreuses petites entreprises — qui étaient souvent favorables au Brexit — trouvent que ces frais supplémentaires non tarifaires augmentent leurs coûts et créent des retards. La TVA et certains droits d'importation doivent désormais être acquittés. Des formulaires supplémentaires doivent être remplis pour les réglementations en matière de santé et de sécurité et l'alignement des normes. L'impact global n'est pas encore clair, car de nombreuses entreprises ont stocké des pièces et des matériaux avant l’accord. On rapporte que, lorsque ces entreprises ont demandé au ministère compétent ce qu'il fallait faire, il leur a été conseillé de créer des entrepôts ou des succursales de leur entreprise à l'intérieur de l'UE. Voilà pour la prise de contrôle et la revendication d'une illusoire souveraineté britannique !

Conséquences dramatiques

Un secteur de l'économie plus important que l'industrie manufacturière — la finance et les services — n'est même pas inclus dans l'accord de libre-échange. Les négociations difficiles devront se poursuivre, et le Brexit n'est pas achevé comme le prétend Johnson. La plupart des grands économistes pensent que cet accord « mince » réduira le PIB de 4 à 5%. Un tel déclin de l'économie touchera plus durement les travailleurEs. L'encre de l'accord avait à peine séché qu'une « consultation » a été mise en place au sein du ministère du Commerce pour examiner les moyens d'assouplir le droit du travail et les réglementations. La semaine maximale de 48 heures, les droits aux vacances et aux pauses légales et l'obligation pour les entreprises d'enregistrer les heures de travail ont toutes été mises sur la table pour discussion. Le tollé a été tel que le ministre a depuis abandonné la consultation. Elle reviendra certainement sous une autre forme. Souvenons-nous que pour le parti conservateur de Johnson, le Brexit devait être un moyen de construire une île de type « Singapour » au large de l'Europe. Une économie à faible fiscalité et à bas salaires qui, avec les investissements mondiaux des États-Unis et de la Chine, donnerait à la Grande-Bretagne un avantage concurrentiel sur l’UE.

Mettre fin à la libre circulation des travailleurs dans l'UE a été la plus grande défaite pour les travailleurs et a en même temps amplifié les attitudes racistes et anti-migrants dans la société. Le gouvernement a continué d'exploiter cette politique, pleine de messages codés, avec un programme de 2000 livres sterling par tête pour « encourager » le rapatriement des travailleurEs de l'UE qui ne parviennent pas à obtenir un « statut d’établissement » d'ici juin 2021. Pour toutes sortes de raisons, des dizaines de milliers de migrantEs européens qui travaillent ici depuis de nombreuses années ne respecteront pas cette échéance. Avec la crise du Brexit et Covid, près d'un million de personnes ont déjà quitté Londres.

Du côté de la gauche et des travaillistes

L'opposition travailliste, désormais dirigée par « M. anti-Corbyn », Keir Starmer, a parlé d’un maigre accord, mais les dirigeants ont décidé que la bataille est terminée et ont décidé de voter en faveur de l'accord au Parlement. L'accord ne répond à aucun des critères établis par Starmer lorsqu'il était en charge du dossier du Brexit sous Corbyn. Mais il est déterminé à reconquérir les électeurEs du « mur rouge », c'est-à-dire les anciens partisans du Parti travailliste qui sont passés aux conservateurs lors des dernières élections, principalement dans les Midlands et le Nord. Au lieu de les reconquérir par des politiques socialistes et l'internationalisme, il pense que les travaillistes devraient simplement céder et accepter Brexit et l'accord.

Une minorité de la gauche radicale avait plaidé pour un Brexit du peuple (Lexit) et a vu dans le vote « leave » une opportunité pour la gauche, déclarant que cela montrait que les travailleurs s'étaient retournés contre l’establishment qui défendait le « remain ». Cette gauche a sous-estimé ou ignoré l'élément raciste du vote « leave ». Ils ont été gauchistes au sujet du moindre acquis que la législation ou les règlements de l'UE ont établis pour les travailleurs britanniques. Aucune de ces forces n'a été capable d'organiser une campagne ou des manifestations mobilisant un courant Lexit. Aujourd'hui, elles s'écartent de la discussion ou se contentent d'explications de type « Et si… », imaginant qu'il aurait pu y avoir une alternative à un Brexit de droite.

Une coalition de certains députés corbynistes, de militants travaillistes, de syndicalistes et de groupes de gauche a continué à faire campagne pour une réponse internationaliste au Brexit par le biais du collectif « Une autre Europe est possible ».

Crise de l’État britannique

Au total, le Brexit a été un facteur majeur, avec la manière épouvantable dont le gouvernement Johnson a géré la pandémie de Covid, dans la crise constitutionnelle qui se développe dans l'État britannique. Les nationalistes écossais vont probablement remporter une victoire écrasante lors des élections du Parlement écossais en mai, et les sondages montrent déjà des majorités pour la convocation d'un référendum et pour l'indépendance. Au Pays de Galles, on observe également un soutien accru en faveur d'une plus grande indépendance. L'Irlande du Nord fait désormais principalement partie de l'union douanière avec les 26 comtés du Sud, ce qui contribuera aussi objectivement à créer un soutien en faveur d'un vote sur une Irlande unie.

Le Brexit était déjà un cauchemar pour l'État impérialiste britannique et les secteurs dominants du capital n'en ont jamais eu envie. Les contradictions supplémentaires de la pandémie de Covid et la crise de l’union [britannique] pourraient les conduire à chercher des alternatives à l'équipe Johnson au sein du parti conservateur, ou même à passer à un parti travailliste modéré, pro-business, dirigé par Starmer.