Publié le Mardi 6 novembre 2012 à 08h51.

Les TunisienNEs ne se laisseront pas voler leur révolution !

 

 

Médecin hospitalier et membre de l’UGTT, Ahlem Belhadj est surtout connue comme présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Ahlem est simultanément militante trotskyte depuis des années et actuellement membre de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), une des organisations constitutive du « Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution » qui regroupe notamment l’ensemble des organisations de la gauche radicale et nationaliste arabe.
 Ahlem était intervenue au congrès de fondation du NPA et à l’Université d’été du NPA en août 2011.

Face à Ennhadha, que penser de ceux qui proposent un vaste front allant des anciens bourguibistes et bénalistes jusqu’à la gauche ?
Plusieurs problèmes se posent avec Ennahda. Il y a d’une part ceux concernant la démocratie et les libertés, mais il y a aussi les problèmes économiques et sociaux, et c’est cela le fond.
Si la Tunisie va aussi mal, c’est non seulement parce qu’aucune réponse n’a été apportée aux revendications des couches sociales les plus défavorisées et des couches moyennes, mais qu’au contraire leur situation s’est dégradée avec la politique des néolibéraux d’Ennahda. On assiste à l’augmentation du nombre de chômeurs, qui sont peut-être aujourd’hui 1 million, ainsi qu’à une hausse importante des prix. La vie quotidienne est de plus en plus difficile. Dans différentes régions et secteurs, les gens bougent énormément. Pour cette raison, vouloir réaliser ce type de front contre Ennahda, sans tenir compte de l’aspect économique est un mauvais choix.

Que penser de la présentation d’Ennahda comme d’un « islamisme modéré » ?
Je ne pense pas que cela soit vrai. Nous contestons cette notion même. Ennahda est un mouvement très hétérogène dans lequel se cotoyent extrémistes et modérés. Certes, certains de ses membres sont modérés, mais le projet lui-même n’est pas modéré. Ennahda refuse, par exemple, d’inscrire dans le préambule de la Constitution la référence à l’universel en ce qui concerne les droits humains. Il s’agit d’un message très fort. C’est un repli identitaire religieux qui est très inquiétant, et tous les élus d’Ennahda ont voté cela.

La Tunisie se dirige-t-elle, d’après toi, vers une dictature théocratique à l’iranienne ?
En cas de contre-révolution, le risque serait celui-là. Mais je suis plus optimiste. En effet, le mouvement social est extrêmement important, et nous avons une société réellement en mouvement.
Il existe un processus qui a été déclenché bien avant le 14 janvier, et qui est toujours en cours. La preuve en est ce qui se passe de façon quotidienne. Chaque jour, on compte en effet des dizaines sinon des vingtaines ou même davantage de mouvements sociaux qui touchent tous les secteurs : les salariés, les journalistes, les avocats,
les féministes, etc.Il existe vraiment un réveil citoyen très important, un mouvement social en profondeur qui bouge beaucoup. Rien n’est encore gagné, ni dans un sens ni dans un autre.
Ce qui est certain, c’est la nécessité de réponses concernant les attentes des TunisienNEs, et Ennahda est incapable de les apporter. Pour cette raison, soit Ennahda va essayer d’imposer une dictature, soit le mouvement va le dépasser. Tout reste ouvert en ce moment, car la mobilisation est aujourd’hui très importante. Reste le facteur international, car la Tunisie n’est pas un pays isolé du reste du monde.
En d’autres termes, la révolution continue, c’est une révolution permanente !
Propos recueillis par Dominique Lerouge

La première partie de cet entretien est parue sur :www.europe-solidaire.org/spip.php?article26736, dont des extraits ont été publiés dans Tout est à nous ! n° 165.