La Libye continue de s’enfoncer dans le chaos sous l’effet des conflits violents entre les nombreuses milices armées.
Les enjeux de pouvoir sont liés à la mainmise sur le pétrole et les différents trafics illicites, souvent au détriment des populations et des réfugiéEs qui tentent de rejoindre l’Europe à partir des côtes libyennes.
Trois gouvernements
« Éclair écrasant », c’est sous ce nom de code que le maréchal Haftar du gouvernement basé à Tobrouk a mené l’opération militaire pour reconquérir les deux sites de Ras Lanouf et d’Al Sedra du croissant pétrolier, et continuer à disputer le leadership contre son rival Fayez el-Sarraj reconnu par la communauté internationale, suite à l’accord de Skhrirat.
Fayez el-Sarraj reste faible et il doit beaucoup aux milices de Tripoli dont la plupart sont d’obédience islamiste. À cela s’ajoute un troisième gouvernement, celui de Khaled al-Gouil issu de l’ancien gouvernement islamiste de Tripoli qui n’est pas reconnu par les Nations unies.
Si le croissant pétrolier a connu des affrontements violents et récurrent entre Haftar et les Brigades de défenses de Benghazi, coalition hétéroclite où l’on trouve des organisations affiliées à Al-Qaïda et à l’État islamique, c’en est de même à Tripoli entre les milices de Fayez el-Sarraj et celles de Khaled al-Gouil.
La complexité de la situation est d’autant plus grande que les alliances entre les différentes milices sont versatiles et que le soutien diplomatique de la part des puissances occidentales ou régionales sont rarement univoques. Pour prendre l’exemple de la France toujours en pointe sur le sujet, le Quai d’Orsay se conforme aux résolutions des Nations unies et soutient Fayez el-Sarraj, sauf que les forces spéciales françaises conseillent et combattent auprès de son principal ennemi, le maréchal Haftar qui, lui, ne reconnaît pas l’accord de Skhrirat.
Tenter de comprendre les agendas des différents protagonistes sous le seul angle de l’islamisme est tout aussi inefficient. Certes, Haftar proclame qu’il lutte contre les terroristes djihadistes, tout comme d’ailleurs les milices de Fayez el-Sarraj et de Khaled al-Gouil. Mais dans les faits, l’homme fort de Tobrouk a construit une alliance avec les Saoudiens qui envoient leurs cheikhs dans les mosquées de la région pour prêcher un islam wahhabite... C’est ainsi que désormais les femmes de moins de 60 ans ne peuvent voyager qu’accompagnées par un homme de leur famille, reprenant ainsi les règles iniques du royaume saoudien.
Les populations premières victimes
Ces guerres intestines ont évidemment des conséquences graves au niveau économique et social. Les exportations de pétrole ont chuté de 1,6 million à 700 000 barils, et au vu des combats incessants sur les sites pétroliers, il n’est pas sûr que le niveau puisse être assuré. Les devises étrangères fondent comme neige au soleil. De 107,6 milliards de dollars en 2013, il ne reste que 43 milliards en 2016, ce qui est d’autant plus alarmant que le pays importe les principales denrées alimentaires. Déjà plus d’un tiers de la population est menacé de crise alimentaire. La propagation des armes qui circulent dans le pays – estimées à 18 millions – fait de Tripoli une des capitales les plus dangereuses, où crimes, rackets et enlèvements crapuleux pullulent...
Les plus touchés demeurent les réfugiéEs qui passent par la Libye pour rejoindre l’Europe, victimes à la fois des trafiquants, des différentes milices et des garde-côtes officiels. Les immigréEs sont appréhendés et parqués dans des camps de rétention, vivant dans des conditions épouvantables, victimes de tortures, de viols, d’exécutions sommaires. Mais cela n’empêche pas l’Europe de vouloir négocier avec le gouvernement libyen un accord identique à celui signé avec la Turquie qui sous-traite le blocage des flux migratoires en direction de l’Europe. Et tant pis si le gouvernement libyen est dans l’incapacité d’assurer les droits fondamentaux des réfugiéEs. Après avoir contribué largement à déstructurer la Libye, l’Union européenne tente de renvoyer les réfugiéEs dans ce qui est considéré par toutes les organisations de défense des droits humains comme un véritable enfer.
Paul Martial