Publié le Mercredi 1 avril 2020 à 13h57.

« Lutter contre l’impunité des crimes contre l’humanité commis par la dictature »

José Maria Galante, dit « Chato », est décédé, le week-end dernier, du Covid-19. Il fut militant de la LCR de l’État espagnol, a été emprisonné cinq ans dans les geôles franquistes, et est passé entre les mains du tortionnaire Antonio Gonzalez Pacheco, alias Billy el Nino (le Kid). Depuis plus de 40 ans, Chato se battait notamment pour que toute la vérité soit dite sur la dictature franquiste. À loccasion de sa mort, nous republions une interview réalisée en 2019. 

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« Le Silence des autres » est un film qui nous concerne. C’est un rappel de ce qu’a été le franquisme, dont certains oublient qu’il ne se réduit pas à la guerre civile mais a pesé de longues années sur l’État espagnol avec la complicité des puissances occidentales, dont la France. C’est aussi une description du combat d’anciennes victimes pour triompher de l’obstacle d’une loi d’amnistie qui protège d’abord les tortionnaires et ceux qui ont donné les ordres. On ne peut qu’être ému par la vie de María Martín, simple paysanne, restée jusqu’à sa mort dans le village de son enfance, et par l’assassinat de sa mère avec sans doute la complicité d’autres habitants.

Le film a obtenu de nombreuses récompenses dans les festivals internationaux. L’un de ses principaux protagonistes est Chato , qui avait bien voulu répondre à nos questions lors de la sortie du film (interview publiée dans l’Anticapitaliste n°463, traduction Josu Egireun).Le film est à la fois un rappel de ce qu’a été le franquisme jusqu’à la mort du dictateur et une description de la lutte pour que les coupables des atrocités soient jugés. Tu as toi-même été victime de la répression, torturé, comment as-tu été associé à ce projet ?

Il y a dix ans, un groupe d’ancienEs prisonnierEs politiques et de différents partis anti­franquistes a décidé de créer un collectif unitaire, appelée La Comuna [La Commune], à la mémoire de notre façon de nous organiser en prison. Notre objectif fondamental était et reste de lutter contre l’impunité des crimes contre l’humanité commis par la dictature.

Pour cela, nous avons décidé de participer à la plainte déposée en Argentine, le seul processus possible à ce moment-là contre ces crimes en raison de la loi d’amnistie de 1977, et une délégation s’est rendue à Buenos Aires pour présenter les quarante-sept premières plaintes pour torture. Au retour, nous avons promu la création d’un réseau d’appui regroupant toutes sortes d’organisations sociales : syndicats, écologistes, féministes, des quartiers… et, bien sûr, des mémorialistes.

Almudena Carracedo et Robert Bahar ont assisté à la première réunion de ce regroupement. Leur idée initiale était de réaliser un film documentaire sur le vol de bébés, mais ils ont ensuite pensé qu’il était préférable de montrer notre lutte pour la justice.

Pour réaliser El Silencio de Otros, ils ont tourné pendant quatre cent cinquante heures en six ans et le montage a pris un peu plus d’un an. Le résultat final est un outil magnifique pour briser le pacte de silence né de la transition et ouvrir le débat à la société tout entière.

Comment s’est fait le contact avec María Martín ? Est-ce qu’il y a beaucoup d’autres personnes dans cette situation ?

María Martín est un personnage méritoire de Lorca, une paysanne fermement enracinée dans son territoire et qui s’est battue toute sa vie pour récupérer les restes de sa mère, violée, assassinée et enterrée dans une fosse commune lorsque María avait six ans. Nous l’avons rencontrée pour sa déclaration au procès ouvert par le juge Garzón au sujet de disparitions forcées. Son témoignage a été bouleversant. Ce processus fut classé sans suite et est l’une des meilleures preuves de la prévarication, de la corruption et de la servilité politique du pouvoir judiciaire espagnol.

Lorsque nous avons déposé plainte à Buenos Aires, María n’a pas hésité à s’y associer avec le cas de sa mère.

En ce qui concerne le nombre de personnes se trouvant dans une situation similaire à celle de María Martín, il est estimé qu’il y a cent quarante mille corps dans des fosses communes.

La loi d’amnistie de 1977 a été d’abord interprétée comme une victoire de la gauche anti-franquiste ? Comment s’est-elle transformée en instrument de protection des franquistes ?

En fait, lorsque la loi d’amnistie a été adoptée, en octobre 1977, un peu plus de quatre-vingts prisonniers politiques sont sortis de prison, dont cinq seulement d’avant la mort du dictateur. En fait, la loi d’amnistie était le moyen de transformer les revendications les plus mobilisatrices en matière de démocratie, la liberté des prisonniers et des prisonnières politiques, en une loi finale protégeant l’impunité des crimes commis par Franco.

Des crimes qui n’ont jamais été reconnus ni fait l’objet d’une enquête et, fait inouï, ont bénéficié d’une amnistie sans avoir été jugés auparavant. Au contraire, aucun des procès et des peines des personnes confrontées à la dictature n’a été annulé, bien que ces peines aient été prononcées en application de la législation fasciste.

Après la loi d’amnistie, les juges de l’époque ont été décorés, les militaires ont été gradés, les hommes politiques n’ont pas bougé, la police n’a pas été inquiétée. En somme, tout est resté en l’état. Pour tout cela, il était essentiel que le PSOE et le PCE, dont les discours n’ont pas hésité à piétiner leur propre histoire collaborent pour s’insérer dans le nouveau régime de 1978.

Pourquoi ce titre « le Silence des autres » ?

Le titre dénonce le pacte de silence établi dans les institutions et qui a été appliqué à l’ensemble de la société par le biais des médias, de la culture, de l’éducation... afin de rendre possibles l’ignorance et l’oubli. Mais il y a toujours eu des gens qui luttaient contre ce silence et aujourd’hui, la grande majorité de la société veut retrouver les principes de vérité, de justice et de réparation comme garantie de ne pas répéter cette histoire sinistre.

« Le Silence des autres » c’est celui des institutions, de la police, de la justice et des secteurs sociaux qui ont bénéficié du régime franquiste et du régime de 1978.

Propos recueillis par Henri Wilno