Macron s’est bien amusé en Algérie. Il a découvert, à Oran, DJ Snake, Disco Maghreb et le fameux Boualem, un des promoteurs des chanteurs de raï. Il a dragué la jeunesse algérienne en en faisant l’acteur premier dans la nouvelle configuration des relations algéro-françaises où le mémoriel, la culture, le sport et le cinéma sont privilégiés. Ça c’était pour la com.
Les choses sérieuses se sont discutées avec les décideurs, les vrais. Ceux qui ont réprimé le hirak, qui ont arrêté plus de 10 000 personnes, mis en prison plus de 300 détenus d’opinions, criminalisé tout activité liée au hirak ou en opposition au pouvoir et sa politique. D’ailleurs, sur une question sur les atteintes graves aux droits de l’homme en Algérie, Macron a esquivé, déclarant que c’est un problème de souveraineté algérienne et qu’il ne pouvait s’ingérer et néanmoins qu’il faisait confiance à Tebboune. Indirectement, il répondait à des associations qui, au nom de la diaspora, l’ont interpellé par une pétition. Il est évident que les intérêts économiques passent avant les droits humains, ce qui est dans la nature des impérialismes qui imposent leur puissance au monde.
Géopolitique impérialiste
Macron a surtout parlé de gaz, de sécurité au Sahel et d’un apaisement réciproque dans les relations si nécessaire à la géopolitique impérialiste de la France. Bien que réduisant à 9% l’apport gazier algérien à la France, Macron sait que la guerre en Ukraine change la donne et que l’Algérie devient un pays très convoité pour son gaz et ses hydrocarbures en ces temps de crise. Assurer ses arrières et replacer l’Algérie dans un système d’approvisionnement énergétique qui sécurise l’Europe est l’objectif ciblé avec le pouvoir algérien. La question de la démocratie, on verra plus tard. Un « partenariat renouvelé » est signé où, derrière les éléments de langage classique, il y a augmentation des approvisionnements en gaz pour la France afin de garantir une sécurité énergétique pour l'hiver face aux incertitudes de la guerre en Ukraine. Pas question pour Macron de laisser l'Italie supplanter la France dans ce commerce stratégique.
Il est évident que la France ne veut pas perdre son influence géostratégique dans la région. Conscient que le vieux continent perd de sa puissance devant l'impérialisme US, les velléités hégémoniques chinoises et le réveil impérialiste de la Russie, Macron et sa technocratie impérialiste se recentrent sur le vieil empire colonial en recherchant efficacité des intérêts et émergence de nouvelles élites, particulièrement dans la jeunesse. L'islamisme lui complique les choses au Sahel malgré l'interventionnisme militaire français dont l’échec est patent. La réunion de Macron avec les généraux-décideurs du pouvoir algérien est significative de sa volonté d'associer ses derniers à une gestion sécuritaire de la région du Sahel pour non seulement contrer les islamistes et leurs approvisionnements en armes, mais surtout rechercher des solutions politiques stabilisatrices à la crise au Mali et dans tout le Sahel. Macron a relevé l'utilité des accords entre Maliens signé à Alger suite à une initiative de conciliation algérienne et phagocytés par les fractions islamistes. La France ne veut pas lâcher le Sahel, territoire vaste et stratégique pour les richesses minières qu'il contient, Areva en sait quelque chose, elle qui exploite de façon quasi-exclusive l'uranium du Niger.
Une relation donnant-donnant
Dans ce vieil empire colonial, Macron parle avenir et pense en termes générationnels, mais les intérêts impérialistes français ne peuvent se contenter d'élucubrations abstraites. Total, Bouygues ou Areva ont besoin de géostratégie politique concrète pour amplifier leur surprofits dans le continent africain et en Algérie. Aujourd'hui, Les despotes africains cherchent à s'autonomiser et réclament une part du pillage des ressources minières pour eux et leurs enfants. Les réformes libérales du FMI qui marchandisent toutes leurs ressources minières et agricoles ont appauvri à un niveau jamais connu leur population poussée à la migration de masse et en même temps enrichi les élites politiques et sociales bourgeoises africaines qui aspirent à contrôler ces ressources pour mieux les « privatiser ». Les rapports de classes reviennent à la surface de façon encore plus violente et ceci crée une instabilité politique où se conjuguent logiques putschistes et explosion sociales.
L'Algérie n'échappe pas à ce scénario malgré la singularité de son histoire avec la France. Les généraux algériens, formule journalistique pour désigner en fait cette bourgeoisie militaro-bureaucratique, incrustée organiquement dans les appareils d'État et qui exerce un monopole d'une rare violence sur le pouvoir, les libertés et la vie économique et sociale, participent à cette France-Afrique à leur façon. Elle intègre les intérêts capitalistes de la France en offrant des parts de marché élevées aux entreprises françaises, mais exige un retour aussi bien par les formes de corruption suffisamment identifiées que par une légitimité internationale qu'elle espère confortée par la France du fait du divorce du pouvoir algérien avec sa population. Tebboune semblait bien satisfait du satisfecit de Macron dont les éléments de langage pro-Tebbounien ne semblaient pas dénués d’arrière-pensées.
Macron rentre au bercail avec l'assurance de Tebboune d'un approvisionnement garanti pour l'hiver (on parle d'une augmentation de 50%). Il s'est assuré des gages « interventionnistes » du pouvoir algérien dans la crise du Sahel et les tensions de la France avec le Mali lors de sa réunion avec les généraux algériens (l'opacité est totale pour le moment) et il espère un déblocage psychologique si indispensable à une relation « apaisée » avec l'Algérie. La rubrique mémorielle et un peu plus de visas suffiront. Les détenus d'opinion, l'article 87bis, le piétinement continu des libertés, l’extradition programmée des sans-papiers vers l’Algérie, etc., tout cela ne rentre pas dans les rubriques du soft power de Macron. Les généraux pourront continuer à réprimer et à… s'enrichir sous le parapluie de la France.