Publié le Mercredi 18 mai 2011 à 21h10.

Madagascar 47 à Nanterre. Histoire, mémoire et vérité

Une initiative plus que louable a été organisée à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense du 10mars au 5avril autour de la question de l’insurrection anticolonialiste malgache de 1947. Elle était intitulée Madagascar 1947. Histoire(s) et mémoire(s) coloniales et articulait exposition, rencontres-débats, projections et lectures.

L’exposition 47, Portraits d'insurgés associait images et textes de deux créateurs malgaches. Exposition pensée et écrite par Raharimanana et nourrie de 32photographies de Pierrot Men1.

«Une sonorité pour commencer: quarante-sept.

Une graphie pour continuer 47.

Des syllabes qui claquent sur la noirceur

et deux chiffres, 4, 7, indissociables,

détachés du temps, figeant l’histoire,

ramassant la mémoire,

troublant le cours des choses

et bousculant la compréhension du monde

Reprendre mémoire»

(Raharimanana)

Le photographe Pierrot Men fait ressurgir les regards oubliés; l'écrivain Raharimanana redit les voix qui se sont perdues. «De simples femmes, de simples hommes, entre 82 et 99 ans, précisent les deux complices. Témoins ou insurgés. Leurs portraits sont ici nos guides, résolument vivants, survivants, d'un passé gommé des esprits. Leurs témoignages, à la mémoire intacte, les accompagnent. Ils nous rappellent la nécessité de dire l'histoire, pour comprendre les maux et rêves d'aujourd'hui.» Présentée dans le cadre de l’événement «Création et mémoire» du conseil régional d’Ile-de-France au festival d’Avignon 2009, l’exposition est arrivée cette année en région parisienne grâce à aux activités de l’université Paris-Ouest Nanterre La Défense.

Où il est donc d’abord question de l’insurrection de 1947, de son histoire et de sa mémoire

L’insurrection anticolonialiste de Madagascar de mars1947 et la guerre de libération nationale: une histoire en débat

L’insurrection de Madagascar de mars 1947 reste sujette à la fois à des exagérations et à des dénis. Les chiffres avancés de la répression colonialiste varient, selon les auteurs, de 10000 à 100000 mais le général Gabay, commandant supérieur des troupes françaises a reconnu 89000victimes malgaches directes et indirectes. Cet épisode de l’histoire malgache qu’a été 47 a été occulté par les uns (en tout cas, largement en France) et revendiqué par les autres. Cette révolte-insurrection était inhérente aux structures même du système colonial: déficit vivrier, travail forcé, code de l’indigénat, racisme entre autres.

À partir d’octobre 1945, c’est-à-dire sept ans après le sabordage par le Kominterm (en toute hypothèse, pour gauchisme,) de l’éphémère PCRM-SFIC (parti communiste de la région de Madagascar-section française de l’Internationale communiste) et dans un contexte de crise sociale importante, les nationalistes gagnent des sièges de députés et en février1946 est fondé le MDRM (mouvement démocratique de la rénovation malgache) qui va réussir à couvrir toute l’île en quelques mois, ce qui va ouvrir la voie à un grand mouvement de désobéissance civile pour l’indépendance et une réappropriation des terres. Le pouvoir colonial arrête alors nombre de cadres du MDRM qui est, lui-même, débordé par l’entrisme des activistes radicaux de la JINA (jeunesse nationaliste).

Le 29 mars 1947 l’insurrection anticolonialiste débute par des attaques de concessions, ainsi que de camps militaires et deux villes côtières du Sud-Est. La révolte s’étend alors, mais reste cantonnée dans la zone forestière orientale.

Le 12 avril, les députés sont arrêtés malgré leur immunité parlementaire. Le 10 mai, le MDRM est dissout. Très vite, la répression fait de nombreuses victimes et verse dans des crimes de guerre: exécutions de sang froid, prisonniers mitraillés dans des wagons ou jetés d’avion, massacres de groupes de population. Les habitants sont contraints de fuir dans les forêts et donc d’abandonner champs et villages.

Un procès des parlementaires et d’un certain nombre de cadres du MDRM se tient de juillet à octobre 1948 à Tananarive: porte de sortie sans perdre la face pour la France coloniale car les condamnations à mort vont être commuées plus tard en peine à perpétuité puis en libérations. C’est seulement en novembre 1948 que le dernier bastion de l’insurrection, une de ces forêts dénommées Tsiazombazaha, autrement dit «qui est inaccessible aux Européens», tombe.

Le traumatisme impacté par 47 dans la population malgache perdure et se traite aujourd’hui par des expressions à travers les créations de nombreux artistes et l’écriture de maints écrivains pendant que les sciences sociales, et d’abord l’histoire, s’attellent à retracer scientifiquement les réalités et processus.

C’est cette possibilité de l’intervention et de l’art et de l’histoire qui a été explorée: pour s’exclure l’une l’autre, s’ignorer ou pour se combiner, se compléter? Trois tables rondes étaient tenues: histoire(s) et mémoire(s). Enseigner l’histoire coloniale en 2011. Madagascar 1947. Histoire occultée? Histoire revendiquée? Madagascar 1947. Entre histoire, mémoire et littérature.

L’art et la littérature ont pu contribuer à cette initiative avec deux films (Gouttes d'encre sur l'île rouge, portrait de l'écrivain Jean-Luc Raharimanana, un film de Vincent Wable et Randianina Ravoajanahary de 2003 et Tabataba (Rumeur) une fiction sur 47 de Raymond Rajaonarivelo de 1988, prix du Public de la ville de Cannes 1988, prix du Jury, Taormina 1988, prix de la Première Œuvre, Carthage 1988.) et une performance (Par la nuit, une lecture de Raharimanana, accompagné de Tao Ravao, musicien poly-instrumentiste de la compagnie Racines Croisées).

En fait, c’est le triptyque histoire-mémoire-vérité qui est au cœur de la démarche et l’œuvre de Raharimanana (sur l’esclavage, l’ethnicité, la Françafrique, le génocide au Rwanda, etc.) qui l’implique aussi sur 1947. Il avait déjà donné la parole aux insurgés dans Nour, 1947, un roman (Le Serpent à plumes, 2001), Madagascar 1947, un livre de photos (Éd.Vents d’ailleurs, 2007) et 47, un texte qui a été adapté, mis en scène et produit par Thierry Bédard (Compagnie Notoire) mais la pièce avait été censurée fin 2008 dans les centres culturels français d’Afrique australe et de l’océan Indien par la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID, ministère français des Affaires étrangères) officiellement pour cause de «restrictions budgétaires». Elle a pu être présentée dans plusieurs villes de France jusqu’en 2010. (Portfolio consultable à l’adresse http://www.theatregerardphilipe.com/index.php/47-portraits-d-insurges.

«Le roman, dit Raharimanana, n’a pas suffi à explorer cette mémoire, l’essai n’a pas suffi, des photos redécouvertes sur l’insurrection réinterrogent, me ramènent paradoxalement à subjectiver davantage, une forme d’urgence qui pousse à écrire quand le Parlement français vote la loi sur l’aspect positif de la colonisation. Madagascar, 1947 ou assumer le JE pour un discours sur l’histoire, contester cette fameuse objectivité qui ferait de l’histoire une science exacte, écrire non pas comme un historien, écrire pour replonger l’homme au cœur de l’histoire, et ne pas seulement considérer les faits, rien que les faits, comme explicatifs de l’histoire, non, replonger l’homme noir au cœur du monde, pas cet homme en marge du progrès, en marge de la planète, au-delà des tropiques, au sud, dans un hémisphère de sida et de géhenne, non, être cet homme comme un autre, qui se relève, vivant, debout, toujours, un je doué de voix et de corps, toujours, contre le rétrécissement d’une vision du monde qui l’exclut. La forme théâtrale allait de soi, la proposition de Thierry Bédard ne pouvait qu’entériner cette démarche.»

Pour cette exposition alors?

«Je ne viens pas sur les cendres du passé

pour raviver les morsures du feu ou

pour soulever les poussières indésirables,

Je ne viens pas sur les traces ensevelies

pour accuser le pas qui a foulé ou le temps

qui a effacé,

Je ne viens sur les pans du silence que

pour un lambeau de mémoire et tisser

à nouveau la parole qui relie,

Je viens juste pour un peu de mots,

et des parts de présent, et des rêves de futur...»

«Je suis allé à la rencontre de ces gens, de simples gens, avec un enregistreur, explique de son côté Pierrot Men. Je leur ai expliqué ma démarche. J’étais prêt à les écouter. Ils se sont sentis compris, aimés… Certains ne voulaient pas que je reparte. Il faut bien partir… », ajoute le photographe. « Et tout simplement ils ont raconté, tout simplement ils m’ont offert leur visage, leur vrai visage [...] Montrer, témoigner, que ces gens existent et qu’on ne les oublie pas.»

Dans Portraits d'insurgés, Madagascar 1947, Gisèle Rabesahala, fondatrice et présidente de l'association de défense des anciens rebelles, déclare à propos de ses protégés : «Quand ils vont disparaître, on va tout oublier, cela expliquera le silence.» Le silence et le bruit, voilà contre quoi se bat Raharimanana.

Un ouvrage publié en mars 2011 permet de retrouver les photographies et les textes de l'exposition: 47, portraits d’insurgés de Pierrot Men et Raharimanana, Éd. Vents d’ailleurs.

A la demande d’enseignants, des visites guidées pour les classes de troisième et de lycée de Nanterre, voire pour des groupes d'étudiants, ont pu être organisées.

Pierre Sidy