Si le vote initié par la junte pour l’adoption d’une nouvelle Constitution lui permettra d’assoir son pouvoir, cette élection cristallise aussi les profondes divergences existantes dans le pays.
Le 18 juin était le jour du vote sur l’adoption d’une nouvelle Constitution au Mali. Une semaine avant, les membres de l’armée ont voté dans les casernes dans l’ensemble du pays sauf dans la région de Kidal, tenue par l’ex-rébellion qui a refusé d’organiser le vote. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les résultats ne sont toujours pas connus.
Un bilan désastreux
En s’emparant du pouvoir par un coup d’État, la junte s’était justifiée en promettant une amélioration sensible de la gouvernance et de la sécurité. Deux ans plus tard, les résultats sont loin d’être au rendez-vous. Alors que la saison chaude arrive, avec des températures atteignant les 40 degrés, les populations connaissent des coupures intempestives d’électricité pouvant durer plusieurs heures. Elles touchent tous les secteurs y compris celui de la santé. Cette situation est le résultat de l’absence d’investissements et de maintenance des centrales.
Concernant la sécurité, les résultats sont tout aussi catastrophiques en dépit des déclarations de la junte. Les combattants de l’État islamique ou d’al-Qaïda gagnent du terrain. Les forces armées du Mali et leurs supplétifs russes de Wagner sont régulièrement pointés du doigt pour leur violence contre les civilEs, à l’image dramatique du massacre de Moura documenté par les Nations unies. Du 27 mars au 31 mars, les militaires ont exécuté pas moins de 500 civilEs et se sont rendus coupables de viols et de tortures.
Maintenir le leadership
L’objectif de la nouvelle Constitution permettra au colonel Assimi Goïta, chef de la junte, de pérenniser son pouvoir. En effet elle supprime les dispositions interdisant aux dirigeants de la transition de se présenter aux élections présidentielles. Elle renforce aussi les prérogatives présidentielles au détriment du Parlement et du Premier ministre.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est satisfaite de cette consultation électorale prévue dans le chronogramme censé rétablir l’ordre constitutionnel. Cependant le retour du pouvoir aux civilEs est largement compromis.
Les restrictions et les atteintes aux droits démocratiques empêchent les opposantEs de faire valoir leurs arguments. Difficile pour elles et eux de mener campagne à travers le pays, au vu des conditions sécuritaires. Certains se retrouvent dans les geôles du pouvoir comme Ras Bath, célèbre animateur de radio et membre de « l’Appel du 20 février pour sauver le Mali » qui a fait campagne pour le non.
Une opposition hétéroclite
Lors de leur première conférence de presse, les participantEs de « l’Appel du 20 février » avaient été attaqués par les nervis du pouvoir. Ils avaient cependant eu le temps de faire valoir leurs arguments étayés juridiquement. Seul un président démocratiquement élu peut engager un processus de changement de Constitution.
Cette plateforme qui rassemble des organisations de la société civile, des partis politiques et des syndicats, notamment celui de la magistrature, tentent de faire entendre leur voix dans des conditions difficiles.
Les représentants de l’ex-rébellion eux aussi refusent la nouvelle Constitution arguant qu’elle serait en opposition avec les accords de paix d’Alger, signés en 2015 mais toujours au point mort, faute de volonté politique des deux côtés.
Enfin les organisations religieuses mènent une vigoureuse bataille contre la nouvelle loi fondamentale. Le litige porte sur la question de la laïcité reprise dans la nouvelle Constitution. Ces organisations dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’imam Mahmoud Dicko, particulièrement influente au Mali, considèrent que la laïcité est une notion française en contradiction avec l’histoire et les coutumes du pays. La mobilisation des religieux est à prendre au sérieux. Dans le passé, ils avaient réussi à faire reculer le nouveau code de la famille qui donnait à leurs yeux trop de droits aux femmes.
Au total, faute d’alternative pour beaucoup, notamment de jeunes, le soutien à la junte apparaît comme le moyen de tourner la page de décennies des pouvoirs corrompus, inefficaces et inféodés à l’ancienne puissance coloniale.