Publié le Lundi 18 avril 2016 à 17h21.

Mayotte : La violence, c’est la malnutrition, la tuberculose, la lèpre…

Après 15 jours de grève, l'accord passé entre syndicats et gouvernement prévoit que les fonctionnaires auront droit à une prime de vie chère de 40 % du salaire le 1er janvier 2017. Mais il faudra attendre le vote d’une loi l'an prochain pour espérer - sous un autre gouvernement - l’application en 2018 du même code du travail qu'en métropole... alors que celui-ci est remis en cause par le projet El Khomri !

Pour le reste, il n'y a que la promesse d'un calendrier de discussions : rien ou presque, disaient les grévistes de base réunis en AG le lendemain, majoritairement contre l'accord. Mais pour ne pas se diviser entre la base et les directions syndicales, l'AG a décidé de suspendre la grève tout en demandant au gouvernement un geste fort immédiat sous peine de reprise d'une lutte encore plus dure.

Des gamins meurent de misère sur le territoire français

La moitié des Mahorais vivent avec moins de 348 euros par mois, près de 60 % ont moins de 18 ans et ils ne peuvent pas attendre. Après son silence, la presse métropolitaine dénonce les violences des jeunes. Mais pas un mot pour dire qu'ils ont faim, meurent de maladie, croupissent dans les plus grands bidonvilles de France, sans eau courante ni électricité, n'ayant parfois que les poubelles pour se nourrir, en particulier quand leurs parents en situation irrégulière sont renvoyés dans les îles des Comores. Car chaque jour, des Comoriens risquent leur vie pour rejoindre Mayotte. Beaucoup sont arrêtés, expulsés, avec parmi eux, des centaines d’enfants.

En métropole, les mineurs isolés sont protégés contre l’expulsion. A Mayotte, sitôt arrivé, ils sont rattachés d’office à un adulte - même inconnu - à bord du même navire. Aussitôt affiliés, ils sont rembarqués vers les Comores. Pour ceux qui restent, réfugiés ou Mahorais, tout manque : emploi, formations, transports publics, associations, stades… Bien des jeunes ne sont pas scolarisés. Les collèges et lycées sont sous-dimensionnés, les classes surchargées, sans matériel. Et la malnutrition empêche les enfants de se concentrer.

On ne parle pas français dans l'île, mais l'école se tient en français... pas enseigné. Il est interdit aux enseignants de parler leur langue avec les élèves. L'illettrisme explose, assorti d’un sentiment de mépris colonial : un vice recteur assimilait l'accent mahorais au « parler banlieue » et déclarait que le rythme de construction d'écoles ne pourrait jamais rattraper celui de « l'utérus des Mahoraises »...

Comme les jeunes de banlieue, les Mahorais sont français, mais se disent qu'ils n'auront jamais les mêmes chances que les autres. 

Bientôt des étrangers chez eux

90 % des villages sont à proximité du rivage. L’État a déclaré la zone inconstructible. Il a commencé par détruire les maisons, puis a décidé de vendre leur propre terre aux habitants. Trop pauvres pour acheter, il ne reste que le bidonville.

En même temps, la plupart des métropolitains résident dans des zones protégées, « le pays des Blancs », dans lesquelles on déconseille de sortir seuls le soir. Mais hormis le conseil général, ils dirigent la quasi-totalité de l'économie et de l'administration.

La secrétaire d'État chargée de l'Égalité réelle (sic!), Ericka Bareigts, a présenté le 13 avril un projet de loi en même temps que le député Victorin Lurel, une loi cadre. Mais cette « égalité réelle » là, conçue conjointement par le gouvernement et le patronat, vise à transformer Mayotte en « zone franche » sans taxes pour les patrons... et sans droits pour les salariés. Cela déclenche l'enthousiasme patronal car attachées à Mayotte, figurent les îles Éparses de l’océan Indien, une zone pétrolifère prometteuse. Ségolène Royal y a accordé l'autorisation d'exploitation des énergies fossiles... au moment de la COP21 et de la répression des écologistes.

Cependant, malgré cette situation coloniale, peu de Mahorais veulent être replacés sous l’autorité des Comores, encore plus misérables. Du coup, dans ce département musulman et à tradition matriarcale, le sentiment de classe l'emporte, au cœur même du combat pour « l'égalité réelle » avec la métropole. Leur lutte, un instant « suspendue », est loin d'être finie, et c'est la nôtre.

Jacques Chastaing