Retour sur la victoire d’Andrés Manuel Lopez Obrador lors de la récente élection présidentielle.
Depuis 1968, et au fil de leurs luttes, trois générations de MexicainEs ont pris conscience qu’ils et elles ne devaient pas seulement faire face à de mauvais gouvernements mais à un État capitaliste. Ce faisant, ils et elles sont devenus anticapitalistes, à l’image de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et du Congrès national indigène (CNI), qui, en 1994, réclamaient simplement l’inscription de leurs droits dans la Constitution nationale.
Le pacte historique virtuel issu de la Révolution mexicaine entre les indigènes, les paysans et les ouvriers d’un côté, et, de l’autre, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), s’est effrité en 1982 avant de prendre fin en 1988. Depuis lors, les oppriméEs et les exploitéEs ont cessé de vouloir convaincre les gouvernements d’alternance de l’importance de leurs luttes et de leurs mobilisations, qu’ils ont plutôt mises au service de la construction de fronts uniques de masse (comme l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca). Des fronts qui étaient, en eux-mêmes, des embryons de pouvoir populaire.
Mouvement populaire, victoire électorale
C’est ainsi que s’est construit un bloc rassemblant des paysanEs et des indigènes, des secteurs ouvriers urbains, des étudiantEs et des précaires, mais également certaines franges capitalistes, commerçantes ou semi-artisanales, affectées par l’aggravation de la crise. Ce mouvement populaire, faute d’être parvenu à trouver une expression indépendante, s’est progressivement rapproché du Mouvement de régénération nationale (MORENA). AMLO [Andrés Manuel Lopez Obrador] a certes fait preuve de persévérance et de ténacité, mais si les masses n’avaient pas connu une telle trajectoire politique, sa seule ténacité n’aurait jamais réussi à ébranler un parti unique à plusieurs visages (PRI, Parti Action nationale, Parti de la révolution démocratique, etc.) intégré aux structures étatiques.
Afin d’être accepté par Washington et par une partie de la classe dominante, AMLO a intégré dans la direction de MORENA des entrepreneurs et des politiciens de droite qui étaient auparavant membres du PRI et du PAN. Des politiciens qui l’avaient combattu, et avec lesquels il gouvernera. Aujourd’hui, AMLO est au gouvernement et détient une majorité au Parlement, même si l’oligarchie continue d’exercer son pouvoir en contrôlant la Justice, les médias, les appareils répressifs et la bureaucratie d’État.
Double pouvoir
Il existe donc un double pouvoir, polarisé entre, d’un côté, l’oligarchie et un capital financier très enraciné et vigilant, et, de l’autre, un gouvernement qui tente de concilier l’inconciliable, accepte le système capitaliste et ses logiques d’exploitation et d’oppression, tout en voulant mener des réformes démocratiques. Et ce alors que ce gouvernement dépend des opprimés du Mexique et qu’il concentre leurs espoirs, tout comme ceux de millions d’expatriés aux États-Unis.
Que peut-il donc se passer dans les prochains mois ? Le plus probable serait que l’oligarchie et Washington essaient de combattre de l’intérieur le gouvernement réformiste tout en faisant, au départ, profil bas. Durant ce délai, AMLO dispose d’une importante marge de manœuvre pour renforcer sa popularité en instaurant la révocabilité des élus et en s’en prenant aux hauts salaires et aux privilèges. Il pourrait également supprimer certaines institutions répressives, épurer la justice et la police, profiter de sa majorité dans les chambres parlementaires pour abroger toutes les lois réactionnaires, antinationales et liberticides instaurées de 1982 à aujourd’hui, prendre des mesures pour incarcérer les assassins de journalistes ou les criminels d’Ayotzinapa [référence à la disparition de 43 étudiantEs en 2014], réussir la paix au Chiapas en intégrant les droits indigènes dans la Constitution.
Nombreuses inconnues
Il pourrait également accroître le pouvoir d’achat en augmentant les salaires et les aides sociales et porter un premier coup au narcotrafic en contrôlant les comptes bancaires afin d’empêcher le blanchiment d’argent et en combattant les complices des trafiquants au sein de l’appareil d’État. L’augmentation des moyens alloués à la santé et à l’éducation, et l’abrogation de la « loi Éducation » actuelle contestée par le corps enseignant, ainsi qu’un effort spécifique pour renforcer la sécurité des femmes, en combattant les féminicides et les viols, sont autant de mesures d’urgence qui conforteraient sa base populaire. Le nouveau gouvernement devrait également viser la réorganisation et le sauvetage de PEMEX [entreprise publique en charge de l’exploitation pétrolière], en lien avec les salariéEs. De la même façon, en s’alliant aux enseignantEs en lutte et en organisant une large consultation dans les universités, il pourrait réfléchir à l’élaboration d’une réforme de l’enseignement qui viserait à former des citoyenEs, armés pour étudier, comprendre et changer le monde dans lequel nous vivons. Reste à voir ce que le nouveau président va faire de tout cela et ce qu’en font, pourront en faire et feront ses électeurs.
Guillermo Almeyra (traduction Coline P.)
Version originale sur la Jornada.