La reprise de la pandémie à grande échelle, largement anticipée par les chercheurs, les médecins et les institutions sanitaires depuis le printemps dernier, a complètement pris au dépourvu les pouvoirs publics – et privés. En Italie, cela s’est traduit par une longue série de balbutiements institutionnels finalement suivis de quelques mesures totalement insuffisantes – ou fondamentalement inutiles, comme le couvre-feu – pour affronter efficacement la propagation du virus. Ces derniers jours, on en est venu à créer des « zones rouges » – avec quarantaine et fermetures obligatoires – dans une partie importante du Nord industriel (Lombardie et Piémont) et la Calabre.
Il existe un sentiment très répandu d’inefficacité et d’inutilité du gouvernement italien pendant ces six derniers mois : démantèlement des structures sanitaires exceptionnelles, investissements très rares et inutiles dans la santé et dans l’éducation, blocage des embauches, abondants versements d’argent aux grandes entreprises et peu ou rien pour les travailleurEs ni pour les couches les plus faibles de la population, chaos absolu dans la gestion sanitaire d’une crise pourtant abondamment annoncée, décisions politiques dépendant toujours davantage des sondages électoraux plutôt que des exigences sociales...
Mobilisation de travailleurEs
Ce sentiment a créé un climat d’impatience beaucoup plus sensible qu’il y a six mois et un discrédit croissant des institutions : les drapeaux tricolores aux balcons, les chansons et les discours sur le thème « Tout ira bien » ont disparu. Les quelques mesures adoptées, après les campagnes médiatiques qui, hier encore, insistaient sur le retour sans problème à la « normalité », ont touché des secteurs économiques faibles et déjà en crise depuis très longtemps, comme le petit commerce et les micro-entreprises, et plus encore les millions de personnes qui, surtout dans le Sud et dans les grandes banlieues, vivent aux limites de l’économie souterraine, de la précarité et de l’assistanat.
Dans ce contexte, évidemment, le malaise social augmente et, avec lui, les protestations. Mais les caractéristiques et l’importance des mobilisations de ces derniers jours ont été différentes et il vaut mieux ne pas tout mélanger, du moins en faisant leur compte rendu.
D’une part, en lien avec cette situation concrète, il y a eu les mobilisations des travailleurEs de l’éducation, de la santé et du spectacle, qui ont pris la forme de grèves relativement importantes et d’un climat d’agitation permanent de « basse intensité ». On doit y ajouter la lutte des travailleurEs de la métallurgie pour le renouvellement des conventions collectives (qui a culminé dans une grève générale le 5 novembre, expression d’un conflit non éteint).
Situation confuse
D’autre part, il y a eu une explosion de protestations (surtout à la mi-octobre) de secteurs divers, que l’on peut difficilement ranger dans les catégories professionnelles ou les perspectives syndicales habituelles. Il y a eu des manifestations de rue de dimension modeste mais qui ont fait pas mal de bruit : à Turin, Naples et Rome, avec même des affrontements avec la police et, dans certains cas, des saccages de magasins. Les acteurEs de cette agitation sont très différents, ce qui donne la mesure d’une situation confuse et qui échappe souvent à une interprétation sociologique rassurante : petits et moyens commerçants aigris et appauvris (quelques-uns d’entre eux, au moins la part « respectable », plus directement liés à la droite officielle), néonazis, supporters des stades, jeunes de la troisième génération des banlieues...
Un tract anonyme distribué à Turin ces jours-ci, dit « Nous sommes le peuple ». Mais il n’y a pas eu, pour le moment, de naissance d’un mouvement « populaire ». Même à Naples, où, parmi les protagonistes de la manifestation il y a sûrement une partie de peuple plus authentique (au point de, probablement, préoccuper vraiment les autorités), les protestations ont servi avant tout à faire débourser à l’administration un peu plus d’argent pour les commerçants et à faire couler des torrents d’encre à des anthropologues mainstream.
Absence de proposition du mouvement ouvrier
Mais ce phénomène ne s’est pas épuisé et beaucoup de choses dépendront de l’évolution de la gestion socio-économique des prochaines semaines, du niveau de désespoir et, dans une certaines mesure, des dividendes politiques que ces mobilisations peuvent donner et à qui. Les seuls qui en ont tiré quelque profit politique ont été, semble-t-il, les milieux obscurs de l’extrême droite. Le véritable problème est peut-être là : en l’absence d’une hégémonie culturelle et politique, de propositions et d’objectifs attractifs du mouvement ouvrier, même les expressions du malaise social, plus ou moins « populaires », sont destinées à être la proie convoitée des aventuriers les plus audacieux et les plus dangereux.
Traduction Bernard Chamayou