Publié le Mercredi 12 mai 2021 à 11h14.

Monde occidental et Russie de Poutine : de l’eau dans le gaz !

Le 6 mai, le secrétaire d’État US Antony Blinken était en visite à Kiev, en Ukraine. La rencontre entre ce représentant de Biden et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, intervenant après un sérieux échauffement des relations entre la Russie et les Occidentaux (l’Ukraine étant l’État tampon), n’était pas désintéressée.

 

Blinken a réaffirmé l’engagement étatsunien en faveur de « la souveraineté de l’Ukraine » et de son « intégrité territoriale », mais il a aussi sermonné un pays dont la fiabilité laisserait à désirer – entendez qui ménagerait encore trop son voisin russe. D’où bien des chantages avec en balance l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Et par-dessus la tête de Zelensky, Blinken a surtout parlé à Poutine, pour le tancer mais aussi discuter serré. La géopolitique a son côté jardin, où les droits humains sont invoqués, et le côté cour, où les affaires sonnantes et trébuchantes sont traitées… non sans relents d’hydrocarbures.

Nouvelles mobilisations en faveur de l’opposant Navalny

L’actualité russe a été marquée le mercredi 21 avril par une nouvelle vague de mobilisations dans le pays, moins importante que celle de janvier mais pourtant notable, dans plus d’une centaine de villes, en soutien à l’opposant Alexeï Navalny, emprisonné dans une colonie pénitentiaire sévère où il a fait la grève de la faim après son retour d’Allemagne. Difficile de mesurer la popularité de ce politicien nationaliste, très anti-migrants et qui fait surtout campagne contre la corruption, dans la mesure où Poutine le prive depuis des années de toute participation électorale. Le fait de tenir courageusement tête lui vaut du respect, même si les classes populaires sont surtout préoccupées par l’inflation et le chômage qui les frappent. Poutine peut craindre pour son parti à l’approche des élections pour le renouvellement de la Douma en septembre prochain, et a manifestement choisi de jouer sur la corde du patriotisme et du militarisme, en massant des troupes à la frontière ukrainienne.

Escalade militaire à la frontière avec l’Ukraine

D’où une nouvelle phase de tension entre la Russie et les puissances occidentales, à propos de la situation aux frontières Est de l’Ukraine comme autour de la mer d’Azov dont la Russie contrôle l’entrée, depuis son annexion de la Crimée en 2014 et la construction en 2018 du pont le plus long d’Europe fermant le détroit de Kertch. Ces quelque 100 000 soldats à la frontière ukrainienne, de simples manœuvres ou des préparatifs d’invasion ? La guerre entre l’armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes a déjà fait 14 000 morts, civils inclus. Des bombes continuent à tuer. En Russie comme en Ukraine, et pas seulement dans les régions frontalières, ces épisodes sont durement ressentis par les familles que les aléas de la politique post-soviétique ont séparées. Les militants révolutionnaires du Mouvement socialiste russe (MSR) dénonçaient, le 9 avril dernier, cette mise en scène guerrière de Poutine – reprenant la formule « l’ennemi principal est dans notre propre pays » – et soulignant sur une banderole que « La guerre, c’est toujours le peuple qui la paie ». Les « Grands », eux, se mènent une guérilla à coups de rappels et expulsions de diplomates : plus de 300 au total ont bougé depuis quatre ans, davantage que durant les vingt dernières années de l’URSS (selon Isabelle Mandraud, du Monde).

Autour d’un gazoduc

La tension est finalement retombée. Classique, de la part de Poutine, d’agiter la menace « étrangère ». Classique de la part des USA et leurs alliés d’agiter les droits humains là où il s’agit surtout d’appétits économiques. Entre autres autour de Nord Stream 2, doublant Nord Stream 1, un gazoduc reliant le golfe de Finlande à l’Allemagne du Nord, pour fournir en gaz russe ce pays et une partie de l’Europe (collaboration entre Gazprom et l’ex-chancelier Schröder). Mais Trump a bloqué l’achèvement des travaux en imposant des sanctions économiques aux entreprises maîtres d’œuvre. La politique allemande en est secouée depuis des mois. Il s’agissait de favoriser l’importation du gaz liquéfié US en Europe, et la façon dont la « diplomatie » Biden vient de faire monter la tension dans l’Est de l’Europe semble indiquer qu’elle marche sur les traces de Trump1. À moins qu’il ne s’agisse de ces coups de pression pour mieux marchander. Et tant pis pour les vies humaines menacées dans l’est de l’Ukraine.

  • 1. Voir les articles publiés dans le Monde diplomatique de mai 2021 : « Washington sème la zizanie sur le marché européen du gaz » de Mathias Reymond, et « Comment saboter un gazoduc », de Pierre Rimbert.