Entretien. Interview de Dan La Botz, militant de Solidarity, organisation socialiste internationaliste américaine. Il participe également à DSA (Democratic Socialists of America). Entretien intégral à retrouver dans l’Anticapitaliste mensuel n°112 (février 2020).
Quel est le rôle de la gauche américaine dans cette élection ?
La campagne électorale de Bernie Sanders en 2016, dans laquelle il s’est qualifié de « socialiste démocratique » et a présenté la plateforme de candidats du Parti démocrate la plus progressiste en 50 ans, a conduit à la croissance rapide des Democratic Socialists of America (DSA), organisation qui compte maintenant environ 50 000 membres. DSA est le groupe de gauche le plus important aux États-Unis et il est entièrement dédié à Bernie Sanders.
Les membres de DSA à travers le pays travaillent à sa campagne des primaires et travailleront également pour lui aux élections générales s’il reste candidat à ce stade. D’autres formations de gauche, telles que le Working Families Party, se sont déclarées pour Elizabeth Warren. Le Parti Vert aura également un candidat à la présidentielle, mais il est peu probable qu’il obtienne plus d’un pour cent des voix.
Dans le même temps, l’extrême gauche, certains dans DSA et d’autres dans des groupes plus petits en dehors de DSA, rappellent que Sanders n’est pas un socialiste et qu’il a dans le passé soutenu les campagnes militaires américaines à l’étranger, c’est-à-dire qu’il n’est pas un anti-impérialiste. Plus récemment, Sanders a dénoncé l’assassinat en Irak du général iranien Qassem Soleimani, mais il n’a pas utilisé sa stature pour appeler à des manifestations anti-guerre.
La gauche considère toujours Sanders comme un moyen d’avoir un impact sur le Parti démocrate et sur la politique nationale et de construire une nouvelle gauche et à terme un parti socialiste des travailleurs. Il faut toutefois se demander quel serait l’impact sur DSA qui s’est ainsi identifié à lui si Bernie Sanders n’était pas vainqueur aux primaires ou s’il perdait les élections.
Et si Sanders gagnait l’investiture démocrate ?
Il est hautement improbable que Sanders remporte la Convention et plus probable que les principaux candidats y arrivent avec entre 10 et 25 % des délégués. Dans ce cas, en l’absence de majorité, ce serait une Convention négociée par les personnalités du parti. Cela pourrait entraîner le choix d’un « chevalier blanc » : quelqu’un qui n’a pas couru en primaire mais qui monte sur son cheval blanc pour sauver la situation. Cela pourrait être quelqu’un comme le gouverneur de l’État de New York Andrew Cuomo ou le Sénateur de l’Ohio Sherrod Brown.
Si Sanders obtenait l’investiture, il devrait remporter l’élection face à l’opposition des Républicains et de nombreux Démocrates et à une couverture médiatique hostile. Si, d’une manière ou d’une autre, il remportait les élections générales, il aurait encore à traiter avec le Congrès américain, le Sénat contrôlé par des Républicains très hostiles et la Chambre contrôlée en grande partie par des Démocrates de l’establishment qui s’opposeraient à sa politique.
La question devient alors : Sanders pourrait-il transformer sa rhétorique de lutte de classe contre la classe des milliardaires et pour une révolution politique en un véritable processus d’encouragement de la lutte de classe ouvrière ? Pourrait-il inspirer ce genre de mouvements sociaux qui ont vu le jour aux États-Unis dans les années 1930 et 1960 ?
Nous n’avons jamais vu une telle chose aux États-Unis auparavant, où au contraire dans le passé c’était la pression d’en bas qui poussait les présidents. Ce sont les mouvements sociaux qui, dans les années 1930, ont poussé le président Franklin Roosevelt et qui, dans les années 1960, ont poussé le président Lyndon B. Johnson à adopter des lois progressistes.
Pourtant, nous n’avons jamais eu de candidat tout à fait comme Bernie Sanders, et il serait intéressant de savoir s’il pourrait et utiliserait le bureau présidentiel pour inspirer un mouvement de masse. Nous préférerions certainement relever ce défi que de voir Donald Trump rester au pouvoir ou de voir un autre Démocrate de l’establishment comme Biden.
Propos recueillis par Henri Wilno