Publié le Mercredi 1 juin 2011 à 19h17.

Petite chronique d’une grande assemblée

« Quelle quantité de gens ! » nous disions-nous les uns aux autres, sous un soleil splendide, sur la place de Lavapiès (quartier populaire de Madrid, NDLR) ce samedi 28 mai à midi. Mais, c’est combien « quelle quantité de gens ! » ? Jusqu’à aujourd’hui, « quelle quantité de gens ! », en comptant y compris les activistes engagés du quartier, c’était, disons, cent personnes. Aujourd’hui, nous sommes entre 500 et 600. Et aujourd’hui, il s’agit d’autre chose que les habituels rassemblements, débats, conférences auxquels nous étions habitués. Il est clair que quelque chose de nouveau est né, un mouvement social qui est encore dans sa phase « fluide » et dont il vaut mieux qu’il continue ainsi plutôt que de se solidifier trop tôt.

L’assemblée a été très bien modérée par des gens dynamiques qui ont confirmé l’utilité des « groupes moteurs » qui agissent avec cordialité, patience et un bon sens commun pour chercher des conclusions largement partagées.

Je résume ce qui m’a paru le plus intéressant :

- Alors que l’on parle beaucoup de la « génération perdue », il y avait dans le public beaucoup de gens ayant entre 30 et 40 ans, signe d’une « génération récupérée ».

- La proposition qui a été lue sur l’organisation des débats en assemblée répond à une volonté très forte de démocratie participative. C’est très bien et il vaut mieux s’étendre sur cela que de conclure trop vite. Mais à la mesure que le mouvement se développe, et cela devrait bientôt arriver, je crois qu’il sera nécessaire d’appliquer des formes de représentation démocratique bien contrôlée. Former des groupes de travail sur base du volontariat, y compris celui qui devra transmettre les accords de l’assemblée, c’est très bien pour commencer, mais je ne sais pas si cela sera encore utile sous peu, surtout quand apparaîtront des désaccords plus importants.

- Il est très bien que se manifeste un tel respect pour les avis divergents et qu’ils s’expriment dans les mêmes conditions que les avis convergents. Il est également positif d’opter pour le principe qu’en dernier recours, « un vote est préférable à un veto » afin d’adopter par une large majorité des 4/5e des accords lorsque l’on ne parvient pas au consensus.

- Ces règles, et surtout la pratique de les utiliser, forment une espèce de « Parlement anti-parlementaire », une expérience très saine qui suppose une critique démocratique vivante du Parlement de « ceux d’en haut ».

- Le débat s’est limité à exprimer des opinions sur le maintien ou non de l’occupation de la Puerta del Sol et sur l’organisation de l’assemblée du quartier. Cela semble peu pour trois heures de discussions, mais l’assemblée n’a en rien été ennuyeuse et la démocratie prend du temps.

- On accueille très bien les opinons du type « nous sommes des citoyens indignés, ici il n’est pas important de savoir si on est de droite ou de gauche, croyant ou non-croyant », etc. Il faudra voir quel sens concret vont prendre ces expressions qui révèlent, probablement, une volonté d’inclusion, une méfiance envers les étiquettes politiques préétablies… mais aussi des idéologies en rien inclusives.

- Deux interventions contre la réforme du code du travail et la réforme des pensions n’ont pas été très bien accueillies. Comme si beaucoup de gens pensent que cela n’était pas approprié dans ce lieu. Il est vrai que ces interventions ont été assez maladroites, de type « meeting » et sloganesques, ce qui ne correspondait pas du tout au ton de l’assemblée. Mais il est également vrai qu’une intervention visant à considérer comme un objectif fondamental la seule réforme de la loi électorale a été mal reçue elle aussi. Je ne sais pas très bien comment interpréter cela. Peut être que la majorité des gens ne veut pas entrer dans ce type de discussions-là pour le moment. Peut être que cela démontre une difficulté à aborder des objectifs politiques concrets. On verra bien.

- Comme on estime énormément l’expérience et le symbole du camp de la Puerta del Sol, dont les méthodes d’organisation sont prises comme modèle et dont les opinions ont une très grande autorité, les conditions émies pour une levée du campement ont été très soigneusement et attentivement abordées et précisées. La majorité des présent-e-s était en faveur d’une levée du camp, mais toujours à la condition que tel soit le choix de l’Assemblée de Sol afin de montrer que cette décision est prise par la seule volonté du mouvement et collectivement. On veut donner à cette levée un caractère très festif et on estime nécessaire de maintenir un « point d’information » permanent sur la place, en la réoccupant de temps en temps d’une manière ou d’une autre (pas nécessairement sous forme de campement). Tout le monde exige en tous les cas l’abandon de toute poursuite judiciaire contre les 24 personnes inculpées pour les incidents survenus le 15 mai.

J’oublie certainement certains points, il ne s’agit ici que de résumer mes impressions. Un procès verbal de l’assemblée sera publié sur le site web http://lavapies.tomalosbarrios.net/. Ce qui me semble le plus important, c’est l’état d’esprit collectif qui prédominait, une sorte de « nous sommes en train de gagner ». Il faut remonter à certains moments de la campagne pour le référendum contre l’OTAN dans les années ’80 pour retrouver quelque chose de semblable.

L’assemblée à décidé de s’organiser avec des formes très militantes : une réunion hebdomadaire, des groupes de coordination d’activités spécifiques, avec une tournante quant à la composition. Et, pour terminer, juste après que la traduction en langage des signes se soit achevée, l’assemblée s’est terminée par une grande ovation. Nous sommes content-e-s. C’est un bon début.

Miguel Romero.

Miguel Romero est membre de la rédaction de « VIENTO SUR » et d’Izquierda Anticapitalista. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be