Le 20 mars, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a publié un décret annulant la ratification par la Turquie de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Cette décision a pris effet le 1er juillet, malgré un recours devant le Conseil d’État.
La Convention d’Istanbul, signée collectivement par 45 pays et l’Union européenne, repose sur quatre piliers : la prévention, la protection, les poursuites judiciaires et les politiques intégrées.
« Valeurs sociales et familiales »
La présidence turque a affirmé que l’intention initiale de la Convention, qui était de promouvoir les droits des femmes, avait été « détournée par un groupe de personnes tentant de normaliser l’homosexualité », la rendant « incompatible » avec les « valeurs sociales et familiales » du pays. La déclaration présidentielle fait aussi référence à six États membres de l’UE qui n’ont pas ratifié la Convention (Bulgarie, Hongrie, République tchèque, Lettonie, Lituanie et Slovaquie) et à la Pologne qui a pris des mesures pour se retirer, après avoir détecté une prétendue tentative « de la communauté LGBT+ d’imposer ses idées sur le genre à l’ensemble de la société ».
Recep Tayyip Erdogan s’intéresse depuis un certain temps aux questions liées au genre, commentant sans relâche la façon dont les femmes ne sont « pas aptes à exercer des emplois masculins » et sont «incomplètes si elles rejettent la maternité » ; une période de maternité durant laquelle elles « devraient avoir au moins trois enfants ». La centralité de la famille en tant que fondement supposé de la société et la glorification des rôles traditionnels des hommes et des femmes et des valeurs prétendument islamiques ont été les caractéristiques de l’idéologie conservatrice d’Erdogan – et de son Parti de la justice et du développement (AKP) – dans les domaines sociaux et culturels.
Recours rejeté
La décision de mars a déclenché une vive polémique. Les mouvements féministes et LGBT+ ont organisé des manifestations massives dans plusieurs villes. Les avocats spécialisés dans la défense des droits humains ont fait valoir que les accords internationaux ne pouvaient être dénoncés par un simple décret présidentiel. Les partis d’opposition, les associations d’avocats et la Plateforme des femmes pour l’égalité – une coalition composée de plus de 300 organisations féminines et LGBT+ – ont demandé au Conseil d’État d’annuler la décision.
Après une longue attente, le Conseil d’État a rejeté le recours, mardi 29 juin. La plus haute juridiction administrative de Turquie a affirmé que le « pouvoir » de ratifier et d’annuler les traités internationaux appartenait au président, et non au Parlement, ce qui a immédiatement suscité un débat sur la capacité du pouvoir judiciaire à demander des comptes aux autorités exécutives et législatives.
Les droits des femmes et des LGBT+ ont fait l’objet d’attaques constantes en Turquie. Pourtant, le pays possède une dynamique sociale et historique unique, quelles que soient les tendances illibérales et l’hostilité populiste du gouvernement actuel à l’égard de l’égalité des sexes. L’annulation de la Convention d’Istanbul, qui a pris effet le 1er juillet, est un résultat inattendu mais non surprenant des politiques autoritaires et conservatrices de l’AKP, qui ont pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie. Les réactions de la société et des groupes d’opposition ont toutefois redonné l’espoir d’un changement, la démarche d’Erdogan ayant unifié autour d’un même objectif le mouvement des femmes et des LGBT+ en Turquie qui comprend des groupes fragmentés aux vues très différentes.
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