Entretien. Mardi 12 mars, le gouvernement français a annoncé un prochain passage de relais à l'ONU, avec un probable vote en avril d'une résolution sur une dite « opération de maintien de la paix ». En attendant, les opérations militaires continuent… Rencontre avec Mohamed Diarra, responsable de la section France du parti malien Sadi (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance).Peux-tu nous présenter Sadi ?Sadi est un parti créé en 2001. Avant cela, c’était une association fondée en 1996, qui a évolué en parti politique. Ce parti se situe clairement à gauche, particulièrement actif dans la vie politique malienne et dans l’opposition face aux pouvoirs qui se sont succédé. Depuis 2002, Sadi se présente aux élections. Son militant phare est le docteur Omar Mariko élu député en 2007. Au mois d’août 2012, après le coup d’État, alors que le mandat de l’Assemblée nationale est arrivé à terme, au titre de la Constitution puisque un mandat ne peut pas être prolongé, il a donné sa démission.Quelles sont d'après toi les causes de la crise au Mali ?Sadi ne cesse de dénoncer la corruption, les privatisations, les malversations, la collusion de certains politiques et militaires avec le trafic de drogue au nord du pays. Le problème du nord a toujours été récurrent. Nous avons tiré la sonnette d’alarme lorsque la guerre de Libye a commencé, guerre que l'on a publiquement dénoncée. Nous avons dit que notre pays serait la prochaine cible de l’impérialisme.Donc, face au drame malien, nous n’avons pas arrêté de dénoncer cet impérialisme. Vu le taux d’analphabétisme au Mali, le niveau de méconnaissance de la vie politique, c’est un combat qui est très difficile. Ajoutons le travail de sape des médias au service du néocolonialisme…Avant même que des islamistes ne débarquent au Mali, Sadi a défendu une solution malienne, même s’il devait y avoir la guerre, mais les impérialistes et leurs alliés de la Cedeao ont tout mis en œuvre pour que l’armée malienne ne résiste pas. Ils ont bloqué la livraison d’armes dans les ports de la région, ils ont créé des dissensions, des conflits internes en son sein afin qu’elle ne puisse pas remplir sa mission régalienne qui est la défense de l’intégrité territoriale du Mali. En fait, au nord, l’armée malienne a été abandonnée et livrée à elle-même.Et quand l’intervention militaire est arrivée à un moment où la population souffrait, Sadi a dénoncé tout cela, mais on ne pouvait pas aller à l’encontre de la volonté des populations qui étaient contentes de la libération.Peux tu faire un point sur la situation ?Les populations sont les premières victimes. Les Touaregs constituent la majeure partie des réfugiés. Cette population a dû fuir le Mali parce qu’elle a peur d’être assimilée par l’armée malienne aux terroristes et à des djihadistes. Quand j’entends dire que le MNLA se bat pour instaurer un État de l’Azawad avec les Touaregs, je pense que le MNLA aurait pu faire l’économie de cette guerre. La population au nord est dans sa grande majorité formée des Songhaï, les Peuls, et ceux-ci n’aspirent qu’à une chose, le retour de la paix et à leur vie d’avant. On peut résoudre ce problème du nord du Mali dans une décentralisation très poussée avec des transferts de compétences, transfert de ressources de l’État pour essayer de déconcentrer l’État central. La France a fait le boulot le plus facile pour l’instant car elle n’a fait que repousser les djihadistes qui ne sont pas défaits. Ils sont dans les grottes, dans les montagnes du massif de l’Adrar des Ifoghas le long de toute la frontière avec l’Algérie.Quelle est votre analyse sur les djihadistes ?Les djihadistes sont alliés avec les impérialistes, voire soutenus, ils ont les mêmes objectifs qu’eux, souvent ils travaillent ensemble. On pouvait très bien faire l’économie de cette guerre, en faisant pression sur leurs bailleurs de fonds que sont le Qatar et l’Arabie Saoudite à travers leurs mécénats. Ces pays sont des alliés stratégiques (et économiques) de la France, celle-ci aurait pu intervenir pour qu’ils arrêtent de cautionner et d’aider les djihadistes. Nous avons toujours été contre une intervention militaire étrangère parce qu’on sait quand cela commence, mais on ne sait jamais quand cela se termine. Les djihadistes et le MNLA ont, à un moment donné, été des alliés, ils ont combattu ensemble l’armée malienne, donc on ne sait même plus qui est qui. La France demande aux autorités maliennes de discuter avec le MNLA et on ne sait pas où cela va nous mener.Dans cette situation il y a des débats à l’intérieur de la gauche française sur la revendication du retrait des troupes françaises du Mali. Qu’en penses-tu ?Notre position est claire, c’est avant tout une solution malienne. On voulait une armée malienne assez forte, qui soit aidée. Son armement date des années 60 et pour se battre, il faut avoir des armes. Pendant un an de crise, la France n’a rien fait pour aider cette armée malienne, elle a plus créé de problèmes.Au Mali, il y a eu tellement de hargne médiatique à l’égard de ceux qui sont contre l’intervention française au Mali que le débat n’est pas possible. Les opposants n’ont pas le droit à la parole, ils se font traiter d’apatrides, de rebelles du sud. Tout ce qui va à l’encontre de cette intervention militaire française ne passe plus dans les médias. Vu la souffrance de nos populations à cause des djihadistes, nous n’avons pas condamné l’intervention. Mais cette intervention est loin de résoudre le problème de l'effondrement de l’État. En plus, elle a permis de conforter un système, celui-là même qui a mis le Mali en lambeau.Un pays comme le Mali a besoin d’une guerre contre la pauvreté pour qu’il y ait à manger pour tout le monde. La guerre contre la misère, la pauvreté, la maladie, le manque d’éducation, cela doit être la préoccupation majeure de toutes les populations. Pour le Mali, la situation est grave, entre les forces djihadistes d’un côté et les forces néocolonialistes de l'autre.Propos recueillis par Paul Martial
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