Plus de trois semaines après l’invasion d’Afrin par l’armée turque, Erdogan, qui prétendait régler le problème « en trois jours », a échoué.
La deuxième armée de l’OTAN, qui a déployé des centaines de tanks et des dizaines d’avions bombardiers pour écraser la population du plus petit canton autonome du Rojava (400 000 habitants) se heurte à une résistance populaire exemplaire. L’affrontement est politique plus que militaire, comme le dit le Kongra Star, le Congrès des Femmes d’Afrin.
Résistance populaire
Selon le communiqué des Forces démocratiques syriennes (FDS) du 8 février, l’armée turque n’a pu faire pénétrer ses chars que de 500 mètres au-delà de la frontière, et de 5 kilomètres lors d’incursions sur une dizaine de villages.
La grande difficulté pour les FDS est qu’elles ne sont pas dotées de missiles sol-air aptes à abattre les avions de l’armée turque qui pilonnent les habitations civiles, des écoles, des mosquées, jusque dans la banlieue d’Afrin, au prétexte énoncé par le ministre des Affaires étrangères turc, Binali Yildirim, que les combattantEs des FDS revêtent des habits civils pour se fondre dans la population, « utilisée comme boucliers humains ». Le communiqué du 10 février de l’état-major militaire turc parle ainsi de « 1 266 terroristes “neutralisés” » quand le ministère de la santé d’Afrin dénombrait 148 civils tués et 365 blessés le 7 février, dont une majorité de femmes et d’enfants.
Le réveil du « géant endormi »
L’affaire, en Turquie, prend une tournure inquiétante. Il ne se passe pas un jour sans que les caciques du régime n’excitent les sentiments nationalistes expansionnistes. Erdogan a prévenu les « puissances [occidentales] » qu’elles « ont réveillé le géant endormi. […] Le peuple turc s’avance dans une nouvelle ère. Aucun État ni organisation internationale ne pourra dorénavant mettre en question le pouvoir de la Turquie ». Il se rêve en continuateur de l’Empire ottoman. Excitant le racisme anti-Kurdes, il prétend que la Turquie est prête à reconquérir les 5 millions de kilomètres carrés de son « Turan » du 19e siècle, de la Chine à la Méditerranée…
Il veut ouvrir un second front à Manbij pour, dit-il, la « rendre à ses propriétaires arabes légitimes » en chassant les Kurdes et les FDS, et il demande aux USA de s’en retirer. Le général Funk, du commandement US, lui a répondu que les 200 marines US stationnés à Manbij n’en bougeront pas et qu’ils poursuivront leur coopération avec les FDS dans le cadre de la lutte contre Daesh dans le nord-est de la Syrie, tout en se lavant les mains de ce qui se passe à l’ouest, réaffirmant que jamais les USA n’ont fourni ni ne fourniront des armes aux FDS d’Afrin.
Les combattantEs FDS ont refusé d’être les dupes de ce jeu mortel. Malgré les injonctions de leur « allié » US, des milliers d’entre eux et elles, partis de Shengal, ont rallié Afrin dimanche 4 février, en passant par Kobane et Manbij.
Pendant ce temps, la répression contre les pacifistes continue en Turquie. Ce sont 573 citoyens ordinaires, au 9 février, qui ont été poursuivis pour avoir exprimé leur opposition à la guerre d’Afrin sur les réseaux sociaux. Le HDP (Parti démocratique des peuples), qui réunissait son 3e congrès le 11 février sous haute surveillance policière à Ankara, est plus que jamais dans le collimateur : l’un de ses députéEs, Ferhat Encü, vient d’être destitué de son mandat parlementaire, et 17 de ses dirigeantEs sont menacés de détention pour leurs déclarations publiques d’opposition à la guerre.
La France complice d’Erdogan
Nasrin Abdullah, porte-parole des YPJ (Unités de protection des femmes) a mis en garde la communauté internationale contre les « crimes de masse » perpétrés par l’armée turque. Elle en appelle à l’ONU pour une exclusion aérienne de l’espace du canton d’Afrin, et à tous les gouvernements du monde pour qu’ils rompent leurs relations diplomatiques avec la Turquie et prennent des sanctions contre Erdogan et son gouvernement.
Jean-Yves Le Drian a, hypocritement, tancé Erdogan : « Le droit de la Turquie à assurer la sécurité de ses frontières est légitime. Toutefois, assurer la sécurité des frontières ne signifie pas que vous pouvez tuer des civils… » Des propos sans aucune conséquence, qui confirment la complicité de Macron et du gouvernement français avec le dictateur d’Ankara.
Pierre Granet