Une fois de plus, après celles du 26 mars, des manifestations importantes ont eu lieu en Fédération de Russie, peut-être un peu moins massives, mais dans près de 200 villes au lieu d’une centaine.
Tous les témoignages convergent : beaucoup de jeunes voire très jeunes qui semblent n’avoir peur de rien. Un mot clé sur toutes les lèvres : « Y’en a marre ! ». Et comme un parfum de liberté...
Si les demandes de manifester ont été déposées, la police a néanmoins arrêté 750 personnes à Moscou et 900 à Saint-Pétersbourg1. Vladimir Poutine a également fait appréhender le matin même l’opposant Alexeï Navalny, initiateur des manifestations, qui se voit infliger 30 jours de prison, qui s’ajoutent à des condamnations judiciaires antérieures qui pourraient l’empêcher d’être candidatà la présidentielle de 2018 – dont Poutine espère qu’elles lui permettront de rester six ans de plus à la tête d’un pouvoir qu’il occupe déjà, en tant que Président ou Premier ministre, depuis 17 ans !
Un bras de fer Poutine-Navalny...
Dans ce contexte électoral, Navalny est celui qui semble tenir tête à Poutine, avec un certain succès et un certain cran depuis qu’en 2011, il a dénoncé Russie Unie comme « le parti des escrocs et des voleurs ». La formule a fait mouche et Navalny mène depuis sa campagne anti-corruption sur les réseaux sociaux dont sa propre chaîne Youtube très visitée. Un film vidéo sur l’enrichissement de Dimitri Medvedev a fait un tabac. Navalny est aussi celui qui a engrangé 27 % des voix au premier tour des élections municipales de 2013 à Moscou.
Ce politicien de 41 ans s’emploie surtout à effacer un passé de chef d’entreprise et d’affairiste boursicoteur, nationaliste forcené et raciste anticaucasien... Il sillonne la Russie pour ouvrir des QG de campagne et trouver les soutiens nécessaires.
À noter qu’il n’a pas hésité, à la veille de ces manifestations du 12 juin, à changer in extremis le lieu du rassemblement autorisé à Moscou, pour le déporter vers le cœur des festivités populaires médiévales organisées par le pouvoir : soit pour répondre à une panne de sono suspecte, soit pour en faire le prétexte à noyer la fête de Poutine, soit les deux, démontrant ainsi qu’il pouvait être suivi au doigt et à l’œil dans pareille volte-face.
… Sur fond de malaise social qui pourrait troubler le jeu
Mais il y a toujours du souci à se faire, pour les politiciens, quand les gens descendent dans la rue et y prennent goût. Car dans la situation actuelle en Russie, les slogans anticorruption de Navalny font écho à bien d’autres problèmes d’injustice sociale, de bas salaires, voire de salaires impayés, de licenciements et de précarité, de misère des retraites... Depuis des mois, les routiers par exemple mènent un combat tenace.
Aussi, quand le Monde écrit le 16 juin dans son éditorial que « Vladimir Poutine peut dormir sur ses deux oreilles », c’est certainement vite dit. Poutine, par les moyens répressifs qu’on lui connaît, peut éliminer Navalny du jeu électoral de 2018 (encore que), mais il serait probablement plus démuni (et Navalny aussi) face à une contestation sociale qui déborderait les pots-de-vin et affirmerait qu’il faut « le pouvoir aux millions, pas aux milliardaires ».
Michelle Verdier
- 1. Une partie des informations vient des sites des camarades de la Gauche ouverte (http://openleft.ru/) et du RCD - Mouvement socialiste de Russie (http://anticapitalist.ru), qui se sont associés à ces manifestations malgré le fossé qui les sépare politiquement d’Alexis Navalny. Ils avaient leurs propres slogans, dont celui cité en fin d’article.